En organisant cette conférence débat, l’IESE a voulu apporter sa contribution au combat historique que livre le mouvement ouvrier, en France et dans le monde, pour conquérir ou préserver le droit à pouvoir se soigner.
Les orateurs et les intervenants sont revenus sur les fondements de cet acquis essentiel de civilisation que constitue la sécurité sociale et sur les tentatives ininterrompues du patronat de la mettre à bas.
Cette conférence débat a donné lieu à compte rendu dans une brochure avec des annexes sur les ordonnances de 1945 créatrices de la sécurité sociale, sur les ordonnances de 1967 remettant en cause les principes et sur les diverses dispositions prises au fil des années pour en réduire la portée.
Cette brochure est disponible auprès de l’Institut pour la somme de 5 €.
Conférence
de l’Institut d’Etude
Sociales et Economiques
du Monde du Travail 6 mars 2014
La sécurité sociale
Son histoire, ses enjeux, sa défense
Jean Pierre Vialle : Notre thème d'aujourd'hui "LA SECURITE SOCIALE" est traité un peu dans l'urgence du fait de l'exceptionnelle actualité de ce sujet, ce dont les intervenants nous parlerons.
Dans la France occupée, entre mai 1943 et mars 1944, seize hommes appartenant à tous les partis politiques, tous les syndicats et tous les mouvements de lutte, au-delà de leurs différences, mettent leurs idées en commun pour penser la future France libérée.
Ils rédigent le programme du Conseil National de la Résistance intitulé : "Les jours heureux".
Ce sont les armes à la main que ces hommes, traqués par la Gestapo, luttaient pour libérer le pays de la botte nazie, et jetaient les bases, d’une société plus juste et plus libre.
Ce programme, fondateur de la société française, a donné naissance à la Libération à bon nombre de réformes capitales, comme le statut de la fonction publique, la nationalisation des grandes entreprises françaises, les comités d’entreprises, les retraites par répartition...etc, et bien sûr la création des caisses de sécurité sociale.
Pour nous parler ce soir de la sécurité sociale, je vous présente Dominique Ruffié secrétaire général de l'union départementale Force Ouvrière des Yvelines et Denis Langlet président de notre Institut qui va nous présenter le travail collectif des membres de notre institut tous syndicaliste d'horizons diverses qui participent à nos travaux. Enfin, les intervenants ce seront ensuite vous-même pour un débat dans la salle.
Merci de votre attention, je donne la parole à Dominique Ruffié.
Dominique Ruffié : Je remercie tout d'abord l'Institut pour m'avoir invité.
La sécurité sociale est quelque chose qui nous concerne tous. Je viens toujours aux réunions de l’Institut d’abord parce qu’il y a toujours quelque chose à apprendre et aussi par amitié pour Denis. J'aime, aussi, bien écouter ce qui se dit en dehors du monde syndical même si je sais qu'ici beaucoup d'entre vous sont syndicalistes et appréhender le ressenti de comment on peut être perçu en tant que syndicaliste dans des réunions comme celle-là.
Je trouve par contre que beaucoup de monde ne vient pas et je le regrette ; je serai toujours prêt pour faire intervenir et participer nos camarades de Force Ouvrière pour ce qui me concerne, et aussi je solliciterai les autres camarades des autres syndicats pour participer car c'est un lieu d'échanges et je crois que c'est primordial dans le monde de plus en plus dur que nous connaissons. Denis m'a demandé d'introduire ce dossier sur la sécurité sociale et pour commencer je dirai qu’on sait tous que c’est l’un des sujets chauds du moment.
Bien évidemment on ne peut pas s'exonérer de l'historique de la sécurité sociale qui remonte quand même à quelques paires d’années puisque que le concept moderne de la sécurité sociale démarre en réalité au siècle des Lumières.
La première allusion qui est faite dans une constitution à la sécurité sociale remonte à 1776 dans la constitution de l'État de Virginie. En ce qui concerne la France tout le monde connaît la date de naissance de la sécurité sociale le 4 octobre 1945 dans le cadre du programme du Conseil National de la Résistance. C’est donc une ordonnance qui a amené le patronat à fonder cet organisme avec au départ un parti pris que je qualifierai de spécieux. Car pour le patronat de cette époque la sécurité sociale était ni plus ni moins, et sans caricaturer, l'équivalent de la maintenance des machines. C’était finalement la maintenance de l'humain pour la production au sortir de la guerre. C'est ce qui a plus ou moins forcé le patronat à accepter la création de la sécurité sociale.
A cette époque il y avait en Europe deux pratiques différentes de la sécurité sociale : la pratique bismarckienne avec le patronat et le salariat qui cogèrent ensemble la sécurité sociale et le modèle de Beveridge en Angleterre où la sécurité sociale relève de l'État.
Je dirai de l’Etat « a minima » car dès l'instant où c'est une sécurité sociale d'État, le politique a la main sur la sécurité sociale et il a donc aussi la main sur son financement. Vous le savez, le politique est souvent dans la recherche du moins d'impôts possible. Cela conduit la plupart du temps à moins de prestations. Donc ce sont deux conceptions de la sécurité sociale qui s'opposent au sortir de la guerre en Europe.
En France se crée donc une sécurité sociale qui se singularise. Et son particularisme est très important : ce seront les patrons qui financeront, avec leurs entreprises, ce que j’appellerai le paternalisme économique car en fait à l’époque le patronat aidait pour l'éducation des enfants, pour le logement…
Mais concernant la Sécurité sociale c’est une véritable structure nationale qui est créée par cette ordonnance de 1945 qui va donc institutionnaliser une sécurité sociale. Celle-ci va évoluer en 1967 avec les ordonnances de De Gaulle.
Pourquoi ? Dès la création de la sécurité sociale le patronat se pose la question : « combien cela va-t-il me coûter ?». Depuis 1945 c'est le même leitmotiv du patronat : « Combien me coûte la sécurité sociale ? »
En 1945, au sortir de la guerre, comme il faut tout reconstruire le patronat doit s'attacher les ouvriers. Si tout se passe plus ou moins bien à ce moment là, il n’en est déjà plus de même en 1967 ou une ordonnance du gouvernement De Gaulle fait éclater la sécurité sociale en quatre branches : la branche maladie, la branche famille, la branche vieillesse, et l’ACOSS qui est la branche de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale.
Après 1967 il y a donc quatre branches distinctes et séparées. Cette décision entendait répondre aux préoccupations patronales sur le « combien ça coûte ? » Les patrons posaient déjà des problèmes concernant la fin de la branche famille car il faut se souvenir qu'à l’issue de la guerre, le gouvernement pratique une politique ouvertement nataliste et le patronat estime qu’il ne relève pas de sa responsabilité de financer la branche famille. La séparation des branches de la sécurité sociale et ce problème sur la famille c'est exactement ce qui ressort aujourd'hui en 2014.
Ensuite en 1973 avec le « choc pétrolier » commence une période de chômage importante, le chômage de masse qui commence à devenir endémique. Mais qui dit chômage de masse dit politiques de l'emploi qui se succèdent. L'Etat a alors la volonté d’intervenir dans le financement de la sécurité sociale, dans sa gestion et commence à accorder des exonérations des cotisations patronales.
On voit que cela rejoint la politique que l'on constate maintenant c'est-à-dire l'État qui intervient directement sur la trésorerie de la sécurité sociale, qui l’oblige parfois à emprunter aux banques à des taux élevés et créant ainsi artificiellement un déficit. L'État peut ensuite démontrer que le trou de la sécurité sociale existe et qu’il est donc obligé d'intervenir.
C'est aussi le moyen pour l'État de constater que de manière récurrente notre sécurité sociale va se trouver en déficit (organisé par lui-même), qu’il y a donc un problème et qui justifiera ainsi les ordonnances qui seront prises en 1996 par lesquelles l'État rentre dans les organismes de gestion de la sécurité sociale. C'est la fin de la cogestion paritaire entre les représentants du patronat et des salariés.
On a donc l'État qui en 1996 supprime la parité dans la branche maladie et introduit dans la gouvernance des caisses les conventions d'objectifs et de gestion (COG). Ces contrats vont être ensuite déclinés au plan local c'est-à-dire que l'Etat impose que des objectifs soient signés dans les différents secteurs locaux de la sécurité sociale ? C’est de fait l'État qui assigne des objectifs aux caisses de la sécurité sociale qui n'est plus maître de son destin.
Donc pour récapituler on a à la fois la fin de l'unité de la sécurité sociale et la fin de la parité de la gouvernance avec l'introduction de l'État qui assigne des objectifs en termes d'économie à la sécurité sociale. Et cette politique d’exonérations de cotisations pour le patronat imposée par l'État se fait sans compensation intégrale des sommes non versées.
Ensuite nous sommes confrontés à un autre problème dont va souffrir notre sécurité sociale : la construction de l’Union Européenne. En effet, pour pouvoir harmoniser et avoir des échelles de grandeur comparables entre les comptes des nations, les différents gouvernements européens ont tous accepté que les comptes sociaux soient intégrés dans les comptes de la nation. Mais cela pose une difficulté car l’organisation des systèmes de protection sociale n’est pas la même entre par exemple la sécurité sociale anglaise et la sécurité sociale allemande ou française.
Alors comment faire ? Rappelons que les budgets de sécurité sociale sont des budgets qui pèsent très lourd dans chacun des états européens et que cela a forcément d’énormes incidences. Ainsi pour la France les comptes sociaux se fondant dans les comptes de l'État, on aboutit de fait à l’étatisation de la sécurité sociale. Et à partir du moment où on étatise et que par ailleurs le pays a une dette, certes on ne parle plus du trou de la sécurité sociale mais les économies exigées pour le règlement de la dette se portent inévitablement sur la sécurité sociale et ses prestations.
Et ensuite, de l’étatisation à la privatisation il n’y a qu’un pas. Et on sait que les assurances privées sont à l’affut et prêtes à assumer ces risques mais en s’assurant bien entendu de substantiels bénéfices.
Rappelons que les cotisations collectées sont entièrement reversées pour les prestations et qu’aucun actionnaire ne prend sa commission au passage.
Alors que les frais de fonctionnement de la sécurité sociale tous confondus ne dépassent pas 4 %, ils sont dans le privé de l’ordre de 15 à 18 %. Je prétends que le déficit de la sécurité sociale est organisé, fournissant le prétexte des difficultés de fonctionnement au gouvernement pour décider d'étatiser cette institution. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans la branche famille, le gouvernement annonce au patronat qu’il sera exonéré de ses cotisations.
Et, bien évidemment, le patronat qui n'accepte plus aujourd'hui de payer pour la famille demain n'acceptera pas plus de payer pour la vieillesse ou même pour la maladie.
Et ce d’autant plus dans cette période de fort chômage, le patron se moque que son ouvrier soit malade ou bien pourtant, un autre salarié sera topujours là pour prendre sa place. En 1945 on n’était pas du tout dans ce schéma là.
Et voilà comment on est arrivé à ce que cet acquis universel de la protection sociale soit menacé d’être livré au marché par la modification de son mode de financement qui devient celui de l'impôt. Voilà, j'ai voulu introduire le débat et je pense qu'il faut discuter parce que la situation fait que si on accepte les projets gouvernementaux, cela va aboutir soit à une sécurité sociale comme en Angleterre mais a minima ou soit comme le système américain où lorsqu'on est malade et qu'on n'a pas une mutuelle et bien on ne peut pas se soigner !
Il faut discuter vraiment entre nous des solutions possibles mais aussi se positionner.
Le patronat dit : « c'est mon argent » mais nous on répond : « c'est notre santé ! ». Et qu'est-ce qui est le plus important entre l'argent ou la santé ?
Pour ma part j'ai choisi et le 18 mars il y a une manifestation que Force Ouvrière a initié et à laquelle d'autres organisations syndicales se sont déjà jointes.
J'appelle tout le monde à se bagarrer pour défendre cet acquis essentiel.
Je vous remercie.
Jean-Pierre Vialle : Je suis allé il y a quelques jours sur le site internet de la sécurité sociale pour vérifier le montant des frais de fonctionnement. Et bien les frais de fonctionnement de la sécurité sociale s'élèvent à 3 % sur l'ensemble des comptes de la sécurité sociale. Je passe la parole à Denis Langlet.
Denis Langlet : Cette conférence est au cœur de l'actualité puisque le gouvernement Hollande a décidé de faire de la « réforme » du financement de la sécurité sociale un de ses grands chantiers et le cœur de son pacte de responsabilité. Soumis à la concertation avec toutes les organisations syndicales, il a été signé par quelques organisations. Avant-hier les responsables de la CGC ont indiqué que ce pacte était une provocation. Le responsable de la CFTC a dit qu'il était impossible de signer un tel document et la CFDT a été obligée de d’annoncer que sa signature n'était pas forcément possible. Le lendemain, la nuit portant conseil, il y a eu trois signatures.
Il est intéressant d’observer que les médias interviewent ceux qui n'ont pas signé ce « pacte de responsabilité » C'est quand même curieux.
Quand on signe un accord de salaire dans l’entreprise comme ça m'est arrivé - pas trop souvent faut pas en abuser !- et bien c’est en tant que cosignataire que j'étais le premier questionné par mes camarades de travail. Cela doit nous amener à réfléchir. Sur les intentions gouvernementales pour une fois les choses sont claires, les masques sont tombés. Depuis des années on nous dit que la sécurité sociale est en déficit. Et là, personne n'en a parlé. Le président Hollande, à l’occasion de la cérémonie des vœux a dit : on supprime le versement des cotisations patronales à la branche famille, ce sera l’exonération totale. Il n'a pas une seule seconde, fait une demi-proposition de remplacement de ce financement. Pourquoi, car il sait bien qu'il n'y a pas de problème de financement de la sécurité sociale. La seule question, le véritable enjeu c'est le mode de financement.
Ils veulent dispenser les employeurs de leurs versements à la branche famille et il dit : comme on est un gouvernement responsable on maintient la branche famille, donc on vous invite vous organisations syndicales, avec les salariés, à trouver un mode de financement permettant de se substituer aux cotisations patronales.
Voilà l’ordre du jour de la réunion à laquelle tout le monde se rend. On est dans une situation très particulière. Le président Hollande a indiqué que toutes les forces, toutes les intelligences et toutes les énergies du pays et des corps constitués, les organisations syndicales des salariés et du patronat devraient s'unir et converger pour le redressement de la compétitivité des entreprises. Cela serait facteur de création d'emplois.
Or nous savons que la compétitivité d'une entreprise est sa capacité, malgré la concurrence, à vendre ses produits et réaliser ainsi les bénéfices, la marge pour les actionnaires et les propriétaires. La compétitivité est un indicateur de l'état de santé d'une entreprise dans une situation économique donnée, celle du système capitaliste en récession. Et cette capacité d’une entreprise à générer des bénéfices se réalise dans l'utilisation (de l’exploitation) du travail humain dans le process de production des produits mis à la vente. Donc c'est un objectif particulier, au sens où il est propre aux propriétaires de l’entreprise, c'est-à-dire des moyens de production.
Alors au nom de quoi les organisations syndicales de salariés, c’est à dire de ceux dont la force de travail est exploitée au sein de l’entreprise devraient participer à ce genre de discussion ? La question mérite d’être posée.
Y a-t-il une relation entre la compétitivité et l'emploi et s’il y en a une quelle est-elle ?
Les entreprises du CAC 40 ont augmenté de manière très significative entre 2012 et 2013, en deux ans, leurs bénéfices. Ce sont donc des entreprises compétitives. J’ai étudié l'exemple de Valeo, une entreprises du CAC 40, équipementier automobile qui a été, en 2008, frappé de plein fouet par la crise financière et économique. La récession est réelle puisqu'il y a eu une baisse de 20 % des ventes de véhicules à l'échelle mondiale : il y avait 66 millions de véhicules vendus en 2007. Cette industrie concerne 50 millions de travailleurs dans le monde, sous-traitants et constructeurs compris.
Valeo est une société française qui, en 2008 l’année de la crise, affichait 51 140 salariés et dont les résultats étaient fin 2013 de 662 millions de bénéfices avec un effectif de72 600 salariés. La démonstration serait ainsi faite que la compétitivité revenue est source d’emplois puisqu’il y a 21 460 salariés de plus.
J'étais un peu étonné par ces chiffres et j'ai donc consulté les rapports 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 de cette entreprise. Cette étude montre que si effectivement en 2008, ce groupe rassemble 51 140 salariés, 32 688 d’entre eux, toutes catégories confondues, ont quitté cette entreprise par : licenciements pour faute, licenciements individuels, licenciements économiques, démissions, départs en retraite.
Dans le même, temps 60 100 personnes ont été embauchées mais pas dans les pays où il y a eu débauche. Cela est le premier constat.
Le deuxième constat concerne la nature des contrats de travail et là les choses changent : sur les 51 000 salariés présents en 2008, 3,2 % étaient en contrats précaires. En 2013, 16,4 % sont des contrats précaires. Plus de 5 fois plus. C’est une autre paire de manches !
Ensuite la masse salariale chargée c'est-à-dire le salaire net que chaque salarié touche auquel on ajoute les cotisations sociales dues par les employeurs selon la législation des différents pays. En 2008 le salaire chargé moyen mensuel au niveau mondial dans l’entreprise était de 3266 €. En 2013 il est de 500 € de moins par salarié. Donc si vous multipliez 500 € d'économie chaque mois sur la masse salariale par les 12 mois et ensuite par 72 000 salariés cela donne une économie énorme : 432 000 000 € dans l’année ! Donc 432 millions d’euros d’économisés grâce à cette baisse du coût du travail.
Maintenant, quand on détaille les 60 000 embauches on s’aperçoit que Valeo n'a pas embauché ces 60 000 personnes. Cette entreprise en a embauché directement 20 000 et les autres 40 000 correspondent aux effectifs des nombreuses entreprises achetées par le groupe Valeo. Or ces entreprises avaient un effectif total très supérieur à 40 000 salariés. Valéo a donc gardé 40 000 salariés et détruit des dizaines de milliers d’emplois dans la même opération de fusion/acquisition Et vous voyez comment une entreprise qui passe de 51 000 à 72 000 n'est pas une entreprise qui a créé de l'emploi mais qui en a détruit ! Ce sont des constats que tout le monde peut faire, qui sont vérifiables et qui emmènent à une autre conclusion.
Dans le rapport de 2013 il y a quelque chose qui saute aux yeux : les deux zones géographiques dans lesquelles Valeo à embauché ce sont les États-Unis, plus exactement le Tennessee et la Virginie au sud des États-Unis dans lequel le taux horaire n'est que de 30% supérieur à celui de la Chine. A titre d’exemple, le salaire des monteurs de Boeing dans le Tennessee est égal au salaire de 1984 de l'État de New York divisé par 4 ! Ce n’est pas du tout la même chose !
On constate également que la masse salariale chargée de la zone France est supérieure de 60 % à celle des États-Unis et du Canada avec pourtant un effectif en France de 8000 salariés de moins que celui de ces pays.
Dans toutes les situations les actionnaires disent : vos comptes sont pas mal mais il y a un truc qui est complètement stupide et qui sautent aux yeux ce sont les cotisations sociales (ils appellent cela des charges) sur une année cela représente 400 millions de dépenses dans les comptes : si on fait sauter la sécu, on gagne tout de suite 400 millions. C'est ça qu'ils se disent, c’est ça leur raisonnement.
Et de ce point de vue là il y a continuité historique comme tout à l'heure Dominique y a fait allusion avec les ordonnances de 1967 qui sont à l’origine de la création des différentes branches de la la sécurité sociale.
Sans la séparation des branches qui remet en cause le principe de la mutualisation des fonds, principe fondamental de la sécurité sociale M. Hollande aurait plus de difficulté à tenter cette attaque contre la sécurité sociale.
Mais en même temps, précisons bien cette question du salaire différé.
Le salaire différé c’est le fait que l'employeur est tenu, pour chaque salaire net versé, de verser un deuxième salaire dans une caisse spéciale : la caisse de sécurité sociale dont la collecte se fait par l’ACOSS.
Pour avoir une idée des ordres de grandeurs, le PIB est dans notre pays égal à 1860 milliards d’€ et l’ACOSS collecte 441 milliards dans les caisses de la sécurité sociale. C'est-à-dire que le quart de la richesse du pays est drainé par la sécurité sociale.
Cela profite, si on prend la branche d'assurance maladie (chiffres de 2012) à 57 millions d'hommes et de femmes, allocataires, qui bénéficient des droits ouverts par leur cotisation.
C’est un système totalement égalitaire puisque quel que soit le montant de la cotisation versée par l'employeur en votre nom vous avez les mêmes droits.
Que vous soyez smicard ou richissime, vos droits ne dépendent pas, contrairement à une assurance privée, de la somme versée mais dépend uniquement du fait que vous soyez inscrit.
Tout salarié a un numéro de sécurité sociale et est considéré comme salarié français ce qui enlève bien des obstacles à toute une série de dérives dont le racisme, ce dont on pourra parler à une autre occasion.
Mais surtout ce qu'il faut bien apprécier, c’est pourquoi nous sommes tant attachés au salaire différé. Parce que, encore une fois, c'est une obligation et cette obligation est la garantie des droits de chacun.
Si vous budgéter ou si vous fiscalisez comme c’est le cas pour les comptes de la sécurité sociale qui ont été basculés dans le budget de l'État par l'Assemblée nationale, chaque année toutes les dispositions de remboursements ou de recouvrement des droits peuvent être remises en question.
Par exemple le Parlement a discuté de la loi de finances pour la protection sociale de 2014 et a précisé les mesures à l'encontre des fraudeurs aux aides sociales. Il se trouve que je connais bien cette question, car je suis engagé avec mon syndicat dans la défense des retraités d'origine étrangère, accusés de fraude puisqu'ils ont déclaré être sur le sol national alors que certains étaient partis au bled plus longtemps que ne le prévoient les nouvelles conditions de versement des prestations datant de 2008.
Et ces « fraudeurs » ont donc touché de manière indue des sommes en provenance des caisses de la protection sociale. Par exemple, ils touchent 260 € d'allocation logement pour un loyer de 440 € pour une chambre de 7 m² Mais le versement de cette allocation logement est soumis à des conditions de résidence sur le territoire national (ne pas être absent plus de 4 mois par année civile). La préfecture et le juge d'instruction nous ont signalé qu'ils étaient fraudeurs parce qu'ils avaient menti sur leurs période d’absence de France . S’ils n'avaient pas menti ils n'auraient pas été qualifiés de fraudeurs et n’auraient pas de pénalité financière à régler. Aujourd’hui, mon organisation syndicale plaide chacun de ses retraités, au cas par cas auprès de la direction de la CAF, de la CNAV et des autorités préfectorales. L‘Assemblée nationale a donc pris son courage à deux mains et a réglé le problème : les sanctions votées harmonisent la fraude aux prestations sociales : deux ans d'emprisonnement, 30 000 € et en cas d'escroqueries constatées par la répétition 7 ans de prison et 75 000 € d'amende.
Donc on voit bien que l'Assemblée nationale n'a pas travaillé pour rien ! C'est une clarification au moment où on parle d'un cadeau aux employeurs de l'ordre de 25 milliards. A ces employeurs qui sont déjà riches à milliards.
Revenons sur Valeo. Dans le journal d'hier le magazine Forbes qui publie deux fois par an le classement des milliardaires j'ai été frappé par deux choses : d'abord les milliardaires sont très peu nombreux, 1645 et puis le montant total de leur fortune est de 6400 milliards.
Ça fait tousser ! Le monde du travail est peu accoutumé à de tels ordres de grandeur. Donc vous divisez 6400 milliards par 1645 et vous savez qu’un milliardaire coûte 3,8 milliards parce qu'on parle bien du coût de l’ouvrier.
Prenez note de l'augmentation de la misère dans notre pays, plus exactement du basculement en dessous du seuil de pauvreté, qui est égal à 50 % du salaire médian, Cela représente plus de 10 millions de personnes. En même temps qu’augmente régulièrement le nombre de milliardaires s’accroît le nombre de pauvres qui n'arrivent plus à subvenir à leurs besoins.
Ça c'est de l'économie, ce n’est pas de la politique, c'est une question de ratio, des ratios à partir desquels il nous faut discuter et préciser.
Hollande a rencontré 30 « managers » de multinationales le 17 février. Très peu de journaux ont publié les engagements qu’il a pris. Je vais vous les lire et vous allez pouvoir mesurer son engagement.
Premièrement « création de France international entrepreneur », structure chargée d'accompagner les entrepreneurs français à l'export. C'est-à-dire que l'exportation est fixée comme objectif par le gouvernement aux entreprises. Donc exportation. Pourquoi l'exportation ? Qui pourrait expliquer pourquoi l'exportation est prioritaire ? La balance commerciale. Mais c'est quoi la balance commerciale ? En quoi l'exportation est plus créatrice d'emplois que l'importation Pour Valeo, l’exportation est majoritairement une exportation fabriquée en dehors du site national. Donc l’exportation n'est pas source de création d'emplois. Et comme je l'ai montré tout à l'heure, Valéo qui exporte détruit des milliers d’emplois.
Deuxièmement, « « mise en place du passeport talent qui offrira une durée de séjour en France de quatre ans pour les jeunes diplômés qualifiés, les mandataires sociaux. »
Les mandataires sociaux je ne vais pas vous dire ce qu'on dit des mandataires sociaux à Marseille sur le port … Pour faciliter les voyages ils pourront bénéficier d’un visa de cinq ans.
Ensuite « l'importation des start-up étrangères » qui bénéficieront d'une aide de 25 000 €, d'un interlocuteur unique sur le territoire français, et pourront bénéficier des aides financière de la banque publique d'investissement.
Rappelons que la banque publique d'investissement a été créée il y a quelques années pour aider à l'investissement des PME.
« Simplification des démarches douanière »s dès la fin 2014. Toutes les procédures import export seront dématérialisées.
« Restaurer la confiance en matière fiscale. »
Je n'ai pas trouvé d'équivalent à l'échelle internationale. À partir de 2014, pour les entreprises étrangères qui viendront s'installer en France, la fiscalité qui leur sera appliquée dans le futur sera fixée à l'avance. C'est un engagement d'État inédit. A compter de 2014, la déclaration préalable de création des entreprises étrangères en France sera supprimée et la trentaine de procédures pour la déclaration des salariés dans ces entreprises seront remplacées par une procédure unique et dématérialisée.
C'est la destruction du pays, de la nation qui est directement annoncée, demandée programmée et par les multinationales.
Alors vous me direz et le dialogue social dans tout ça ? Eh bien on est en plein dialogue social puisqu'il y en a qui signent et d'autres qui ne signent pas !
Je reviens à Valéo pour connaître la définition du dialogue social. Je vais vous lire la note de la direction générale de Valeo: «la stratégie ressources humaines de Valeo est un levier essentiel pour accompagner la stratégie de développement international du groupe."
On comprend bien qu'il est de leur intérêt d'exporter puisque plus ils exportent à partir des forces de travail dans des pays à bas coût plus leur marge augmente. "Cette stratégie des ressources humaines se veut à la fois globale spéciale adaptée aux caractéristiques culturelles et économiques afin de faire face à des situations contrastées dans les différentes pays où le groupe est présent..... Adaptation de l´effectif par une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences.
Priorités de la direction humaine consistant à renforcer la sécurité des employés. Promouvoir la diversité dans toutes ses dimensions : handicap, génération, culture. Mise en application du mieux être au travail.
Recruter des compétences afin de faire face à l'évolution des nouvelles technologies. Appliquer strictement le code d'éthique et les règles de conformité qui veille au respect des personnes. Toutes ces priorités sont en lien avec la politique de haute responsabilité sociale de l'entreprise. RSE qui a fait l'objet d'un accord le 10 juillet 2012 entre la direction du groupe et les membres du bureau du comité d'entreprise mondiale ».
Ensuite vous avez un tableau avec le nombre d'accords signés. Si on n'avait pas parlé des effectifs, on se dirait que ces accords concernent donc 70 000 personnes mais comme ils en ont mis dehors plus de 33 000 ceux là n'en ont pas bénéficié.
Le nombre d’accords collectifs réalisés au sein de Valeo et ses filiales est très intéressant : Allemagne 38 accords, Argentine 2, Brésil 15, Chine 2, Corée 7, Espagne 14, France pays dynamique et siège de la société 55 (pour 6000 personnes), Italie 13, Japon 9, Mexique 22 (Mexique dont l’horaire chargé est plus bas qu’en Chine), Pologne 1… Total : 221.
Ce sont tous des accords de compétitivité. Et là encore, un problème permanent que notre Institut doit soulever, quel que soit notre affiliation, on ne peut pas ne pas constater qu'il y a un problème grave. Les organisations syndicales sont saisies de problèmes qui ne sont pas ceux pour lesquelles elles ont été créées. Elles se mêlent de la gestion des entreprises alors que le patronat n'a pas ni la force politique ni la force sociale pour imposer ses prétentions.
Parmi les 1645 milliardaires, le numéro trois est M. Ortega, le PDG de Zara dont on a retrouvé les étiquettes dans l'immeuble effondré au Bangladesh et dans lequel 1227 ouvriers et ouvrières ont trouvé la mort. Tout le monde sait que cela suscite la révolte.
Et pourtant quand vous allez à la machine à café à l'étage du siège du comité central de ces grandes entreprises mondiales et bien je vous assure qu'il y a unité. Le café et le chocolat sont servis de manière aimable, c'est correct et vous ne pouvez pas reconnaître l'appartenance syndicale de tel ou tel délégué. Il y a beaucoup de fluidité, les gens sont sympas, tout le monde a du sentiment et demande des nouvelles de la famille…
Aujourd'hui on est dans une situation très difficile. Je suis dans une organisation syndicale non signataire. Lorsque l’employeur dit : on est en train d'étudier la possibilité d'économiser 440 milliards sur le dos de la sécurité sociale. On vous demande de trouver un financement de substitution. Normalement vous n'allez pas à la réunion. Quand votre employeur vous dit: on va baisser les salaires, vous n'allez pas à la réunion. Là, tout le monde va à la réunion !
Mais comme le dit un dirigeant d'une organisation non signataire : attention on a dit non !
Oui mais comme la discussion s'est passée normalement, ceux qui ont signé apparaissent comme ayant signé un document légitime puisque il y a eu débat et ceux qui ont refusé de signer on pu le faire.
Alors tout est parfait, la discussion est close, fermée !
C’est un vrai problème historique.
Les syndicalistes se plaignent souvent en disant : il y a trop d’anciens.! Mais je dis non, il n'y a pas trop d'anciens. Maintenant que j'ai passé les 60 ans, je plaide ma cause C'est une richesse ! Plutôt que de faire des réunions entre anciens dans lesquelles on n’apprend rien sinon sur les douleurs des uns et des autres, je propose que 3 ou 4 retraités fassent des équipes qui partant du postulat que l’acquis le plus fondamental, c'est celui de la sécurité sociale aillent dans les entreprises, dans les localités et s’adressent à toute la population pour expliquer ce qui se passe et l’enjeu de préserver la sécu.
Les syndicalistes qui ont pu voyager peuvent témoigner que dans n'importe quel pays, la Corée, l'Inde, les États-Unis, l’Europe de l’Est quand un syndicaliste apprend qu’un délégué français est présent, la première question qui est posée c'est : alors la sécurité sociale ça marche comment ?
Si la sécurité sociale est cassée en France alors sera cassée une espérance, un espoir, un objectif de lutte pour les salariés du monde entier.
Quand je suis allé à New York pour la réunion des délégués de Général Electric, la troisième journée se concluait par une manifestation pour la sécurité sociale. Alors je demande quel est le mot d'ordre. Déploiement de la banderole: pour une sécurité sociale à la française !
C’est ça l'enjeu et nous sommes devant une difficulté parce que les dispositions égalitaires découlant de la création de la sécurité sociale sont intervenus après 1943. Mais en 1943 les armées nazies ayant été stoppées sur le front de Stalingrad, les rapports de forces s’étaient inversés. Le général De Gaulle (qui n'était pas délégué syndical !) avait reçu une délégation du patronat français à Alger en mai 43 et quant la délégation du patronat lui demande: mon général nous avons appris que vos représentants au Comité National de la Résistance ont donné leur accord au projet de sécurité sociale il leur a dit : écoutez, quand le peuple se dirige vers la Bastille, il n'est pas de bon ton de se mettre en travers.
Effectivement De Gaulle, et ses partisans ont voté la proposition de la sécurité sociale car la sécurité sociale n'a pas été le résultat du dialogue social.
Alors quand on entend un responsable national dire qu’on ne peut pas pratiquer la politique de la chaise vide il faut lui opposer que parfois c'est précisément la chaise pleine qui permet à la mesure d'être adoptée et que cela va compliquer la lutte.
C’est une des origines de la difficulté à la mobilisation parce que personne n’est assez idiot pour se mobiliser et perdre du salaire pour rien. Ce que je veux dire c'est que nous ne sommes plus dans la situation des exonérations conduisant au déficit, on est dans la situation de disparition de la sécurité sociale.
Vous avez vu que le Parisien a fait deux pages entières sur le laxisme des médecins qui signent des arrêts maladie pour ceux qui ont des problèmes psychosociaux.
La campagne est engagée et des médecins hésitent à prescrire des arrêts maladie, pourtant utiles. Cela signifie que la défense de cet acquis fondamental qu’est la sécurité sociale pourra bientôt être qualifiée comme du terrorisme. J'exagère à peine.
Donc pour trouver les conditions pour défendre et sauver la sécurité sociale, il faut demander au personnel, aux syndiqués, aux salariés en les réunissant : comment voyez-vous les choses?
Par ailleurs concernant la manifestation du 18 mars il y a une tradition dans la région parisienne, les bus partent à 11h du matin et à 18 h ils repartent dans l’autre sens. Alors quand vous êtes premier ministre il suffit d'attendre 19h !
Alors la discussion de ce soir est forcément une discussion technique. Et bien oui, il nous faut aborder les éléments historiques, éléments chiffrés mais fondamentalement ce débat entre nous pose le problème de la responsabilité des uns et des autres à commencer par la notre, notamment celle des anciens.
Cette expérience doit être réintégrée et la seule possibilité de sortir de cette situation c'est la démocratie, de faire appel aux syndiqués faire appel aux salariés pour que la discussion se mène.
Le débat
Jean Pierre Vialle: Je voudrai vous lire le début de l'éditorial de M. Kessler dans la revue Challenge du 4/10/2007 à propos des acquis de 1945 : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là . Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
M. Denis Kessler a été numéro deux du MEDEF du temps du baron, président de la fédération des assurances de France il gère maintenant un fond de réassurance à l'échelon international. Voilà son programme : détruire absolument tout ce qui a été mis en place par le CNR.
Denis Langlet ne nous a pas parlé directement de la sécurité sociale mais en fait il nous a démontré par quel moyen l'entreprise de démolition était bien avancée et c'est peut-être le vrai sujet.
Philippe Penin : N'oublions pas ce que l’Europe a fait en remettant en cause le code de la mutualité. En fait il y avait des mutuelles issues des mutuelles ouvrières dont l'objet était de percevoir des cotisations et de verser des prestations sans chercher à réaliser du profit.
Ces mutuelles ouvrières, l'Europe les a fait exploser par l'obligation liée à la transposition dans des ordonnances pris sous le gouvernement Jospin de provisionner des fonds jusqu'à équivaloir au provisionnement des fonds des sociétés d'assurances privées.
Alors quand on parle d'un puzzle, il me semble important de rajouter cet élément là. L'objectif est bien de donner ce marché de la santé au secteur privé lucratif.
Denis Langlet : Sur les mutuelles tu as raison et je rajouterai qu'historiquement les mutuelles existent dans le domaine de la complémentaire santé à partir du désengagement de la sécurité sociale.
Une fois qu'elles ont été implantées en tant que mutuelles ouvrières on a vu beaucoup d'employeurs, notamment dans les multinationales, sous couvert de partager le fardeau qui ont introduit les filiales d'Axa, Générali… qui se sont généralisées et qui se sont substitués aux mutuelles ouvrières.
Depuis quelques mois, une loi conséquence de l'accord national interprofessionnel rend obligatoire dans toutes les entreprises l'existence d'une complémentaire santé.
A partir du moment où les mutuelles sont toutes des filiales des assurances privées, en les rendant obligatoire cela permet d'accélérer le démantèlement de la sécurité sociale. C'est très clair et très précis pour bien comprendre que cela participe de la privatisation de la sécurité sociale.
Jean-Pierre Vialle : Tu nous as parlé de l'Europe. La cour de justice européenne a pris une décision le 3 octobre 2013 ; c'est tout récent.
Elle a confirmé que la sécurité sociale est illégale au regard du droit européen.
Les commentateurs de cette décision disent aux naïfs qui fantasment sur l'Europe sociale: ce jugement sonne la fin de la rêverie, la mort programmée de la sécurité sociale désormais est proche.
En fait il s'agit d'une sécurité sociale en Allemagne s'était déclaré comme concurrence déloyale par rapport au privé la bataille juridique n'est donc pas terminée.
Ce jugement fragilise plus que jamais le statut de la sécu. Lorsqu'une entreprise privée, au nom de la défense du consommateur portera plainte contre la sécurité sociale française pour concurrence déloyale le jugement de la cour européenne de justice ne pourra pas être différent de celui du 3 octobre 2013.
Dominique Ruffié: En fait c'est le problème du monopole qui a été attaqué et l'obligation des entreprises à ne cotiser qu'à la sécurité sociale en ce qui concerne la situation France.
Ce monopole qui est un acquis de 1945 est attaqué maintenant sous couvert de la libre concurrence européenne.
C'est le monopole qui est reconnu par la cour de justice européenne comme contraire aux règles de la construction européenne alors que c'est quelque chose qui normalement devrait dépendre de chacun des états.
Jean-Pierre Vialle : on voit bien que les attaques arrivent de toutes parts.
Gérard Reix : Je voudrais commencer par faire une citation. Celle qu'un ouvrier gantier de Grenoble écrivait en 1820 et qui concernait le règlement des ouvriers gantiers de Grenoble.
Vous le verrez cette citation situe bien ce qu’est notre sécurité sociale.« On n'a jamais bien compris le but de cette institution que l’on l'a trop souvent assimilé aux bureaux de charité ; pourtant, quelle différence ! Ceux-ci sont composés, il est vrai, de personnes bienfaisantes et par conséquent vertueuses, mais réunies dans le seul but de déverser l’aumône dans les mains de l'indigence : les membres qui les composent sont tous bienfaiteurs la pitié est le sentiment qui les fait agir ; chez nous, au contraire, les secours que la société accorde sont des droits acquis, tous les sociétaires peuvent être à la fois obligeants et obligés ; c'est une famille qui réunit en commun le fruit de son labeur pour pouvoir s'entraider mutuellement; ce sont des frères qui tendent les bras à leurs frères(…)Les droits sont tous égaux, nulle autre différence que celle des malheurs ; celui qui se trouve favorisée par la fortune peut s'en voir abandonner ; alors, ses droits sont indiscutables et ce qu'il a fait pour ses frères doit être fait pour lui. Celui qui reçoit ne reçoit rien de personne, c'est son bien qu'il dépense. Il ne doit aucun remerciement, le contrat est réciproque. »
A lire ce document, on comprend mieux tout ce que représente cette institution d’origine ouvrière mais qui est universelle et qui permet, dans les périodes difficiles de la vie, dans les malheurs, de garder sa dignité.
Et il est bon de se rappeler cela parce que souvent quand on est malade, que l’on va chez le médecin ou à l'hôpital on reçoit de soins et on considère cela comme normal et on a raison, c’est devenu banal et c’est tant mieux.
Mais il faut toujours se rappeler que, comme toute réalisation humaine, ce que certains ont fait, d’autres peuvent le défaire.
Enfin je voudrai appuyer ce que Denis a dit tout à l’heure : la sécurité sociale n'est pas le produit du dialogue social. Et pour l’illustrer, je voudrai vous lire un court extrait d’un rapport à la chambre des députés en 1897: « Il n'est pour ainsi dire pas une des grèves, parfois sanglantes soulevées au cours des dernières années dans le bassin minier qui n'ait eu, avec les questions de salaire (…) pour cause ou pour prétexte l'insuffisance des caisses et leur organisation défectueuse. »
Dominique et Denis, ont eu raison de nous exposer l'actualité de la nécessité de s'organiser pour la défense de la sécurité sociale parce qu'elle attaquée. C’est décisif et la discussion doit se poursuivre sur les formes les plus adaptées.
Je voudrai attirer votre attention sur les ordonnances de 1967 qui ont déjà été évoquées ce soir et dont l’objectif était de remettre en cause l'unité des risques couverts par la sécu. Le début du premier article de création de la sécurité sociale en 1945 indique : « Il est instituéune sécurité sociale une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et les familles contre les risques de toute nature… » C’est à cela que s’est attaqué le gouvernement de De Gaulle en 1967 par ordonnances car il estimait ne pas avoir les forces politiques suffisantes pour aller devant le Parlement.
Et il faut se souvenir que dès que ces ordonnances ont été annoncées, une grève générale d’un jour a été décidée par les syndicats le 17 mai 1967. Certes cette journée de grève n’a pas permis à elle seule de faire reculer le gouvernement mais elle a laissé sa marque et l’année d’après il y a eu les mobilisations de mai 1968 grâce auxquels l'essentiel du contenu des ordonnance de 1967 a été balayé.
Cela m’amène à la réflexion que pour sauver la sécurité sociale il nous faudra sans doute plus qu’une grève d’un jour.
René Benedetti : En 1968 aucun dirigeant des organisations syndicales, ni politiques n'a demandé la prorogation des ordonnances de 1967 !
Denis Langlet : C'est exact mais si les dirigeants avaient bien appelé à la grève du 17 mai 1967, aucune organisation n’était à l’origine de mai juin 1968.
Alain Berthou : Il y a les aspects techniques et historiques mais dans la sécurité sociale il y a aussi et je dirai essentiellement un aspect humain. Et ce n'est pas seulement la maladie, la retraite. Les différentes branches ne sont pas nées comme ça par hasard.
Elles sont nées plus spécifiquement après la guerre parce qu’il y avait un besoin de santé, besoin de natalité, besoin de protéger la vieillesse, besoin de reconstruction et si ces branches ont été pour l’essentiel préservées jusqu'à aujourd'hui c'est parce que les effets qu’elles procurent sont essentiels aux hommes et aux femmes.
Ce qui pose problème aujourd'hui, comme hier, c'est le financement.
Remettre en cause ce financement c’est énorme car ce qui est en cause ce serait l'explosion tout de suite.
Cette remise en cause passe aussi par l'intérieur, par les droits des personnels, par des conditions de travail qui s’aggravent, mettant en péril les services rendus aux assurés sociaux.
Je travaille à la caisse d’allocations familiales. Pour beaucoup la sécurité sociale, c'est la maladie, les indemnités journalières.
Mais c’est aussi la branche famille, celle qui est directement menacée en premier. Quelles prestations distribue-t-elle ?
D’abord les allocations familiales pour les enfants, ce qui permet de les élever décemment.
C’est aussi l'allocation logement qui est versée depuis la création de la sécurité sociale et qui est là non seulement pour aider au paiement du loyer pour se loger mais qui a aussi obligé les constructeurs, les promoteurs à instaurer ce qu'on appelle aujourd'hui des éléments de décence dans les logements.
C'est-à-dire très simplement que pour avoir droit à l'allocation logement, dès 45 et encore aujourd'hui il y a des normes d’habitation à respecter comme des surfaces minima, une salle de bain et des WC dans l’appartement…
Je n’oublie pas la branche retraite pour finir dignement ses vieux jours.
La sécurité sociale, ce sont tous ces éléments et d’autres qui répondent à des besoins sociaux et qui sont autant de raisons pour convaincre de se battre pour sa défense.
Je me suis intéressé à l’étude l'ordonnance de 1945. Dès 1952 un monsieur qui s'appelait ……. parlait déjà de la fiscalisation de la sécurité sociale dans un projet de loi de 1952. Vous voyez, ce n'est pas nouveau !
Mais aujourd'hui comme hier la résistance de tous peut faire en sorte que nous conservions encore la sécurité sociale.
Je voudrai insister sur une raison supplémentaire de défendre et de retrouver certains éléments des prestations de 1945 qui ont disparues.
Jusque dans les années 1980 les allocations prénatales étaient attribuées et étaient conditionnées par le passage d’une visite médicale régulière. Le suivi régulier de la grossesse était donc impératif pour pouvoir percevoir l’allocation.
Combien de vies et de maladies ont-elles été ainsi évitées tant pour les mères que pour les enfants ?
Jean-Pierre Vialle : Il y a quelques années des employeurs américains regrettaient qu'il n'y ait pas de sécurité sociale aux États-Unis parce qu’ils devaient payer un système particulier de protection sociale à leurs salariés.
Ils étaient donc favorables à la création d'une sécurité sociale d'État qui leur aurait coûté beaucoup moins cher.
Mais ce n'était pas l'ensemble des employeurs américains qui le souhaitait et c’est sans doute ce que regrette Obama qui n'aurait pas eu autant de difficulté.
Rappelons que dans ce pays le plus puissant du monde, il y a 47 millions d'Américains qui n'ont pas du tout de protection sociale.
Jean-Pierre Battais : Denis a mis en évidence que dans une entreprise comme Valeo, le patron n'a aucun intérêt à se soucier de la bonne santé de ses employés en France car une grande partie de sa production se fait à l'extérieur.
Ses ressources humaines sont essentiellement en dehors du pays et c'est le cas pour de plus en plus d'industriels qui mettent de plus en plus leurs salariés directement en concurrence.
Qui plus est, maintenant les conditions de flux de capitaux au niveau international sont extrêmement libérées. Il ne leur est plus nécessaire de fidéliser leurs salariés et donc de prendre en compte les éléments de sa santé.
Jean-Pierre Vialle : J'ai beaucoup travaillé avec Valeo. Il y avait notamment une usine d’éclairage en Belgique. La politique de Valeo c'était de mettre ses propres usines en concurrence les unes vis-à-vis des autres et souvent le résultat était la fermeture d’une usine.
Ils mettaient aussi de jeunes ingénieurs en concurrence ce qui donnait des choses aberrantes, des horaires affolants pour des jeunes ingénieurs qui sortent d'écoles et qu’on leur fait miroiter des promesses de promotions internes…
J'ai personnellement pu constater et voir des personnels qui travaillaient dans des conditions totalement inadmissibles.
Je me souviens de réunions de service à Valeo le matin dans des open space ; réunion de cinq minutes, debout, à écouter le chef de service, personne ne parle, tout le monde regagne son poste en silence… c'était très difficile à vivre.
Alain Berthou : J'ai oublié de dire ce soir la formule qui définit de manière concise et percutante l’esprit de l'ordonnance de 1945 : « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins. ».
Nicole Mahoux : Je trouve qu'il y a un vrai recul de la santé au travail parce qu’autrefois, en tout cas pour ma génération lorsque j'ai débuté dans les PTT j'avais une visite médicale tous les ans. C’était une visite systématique avec à chaque fois une radio pulmonaire et bien entendu d'autres examens.
Cela n'était plus le cas dans mes dernières années aux PTT et on a pu constater des cas de recrudescence de tuberculose.
On s'apercevait que les conditions de travail et d'existence de salariés, notamment chez les jeunes était parfois catastrophiques et conduisaient a des cas de tuberculose.
Je peux également témoigner que dans les deux dernières années de mon ma vie professionnelle nous étions 1100 salariés sur le site et pendant deux ans nous n'avons pas eu de médecins de prévention ce qui du point de vue du code du travail est tout à fait anormal.
Jean-Pierre Vialle : J'ai pu bénéficier d'une journée de formation concernant la médecine du travail organisée par un institut universitaire et je peux dire que la médecine du travail n'est plus celle que nous avons connue. Et tout simplement parce qu’aujourd'hui un médecin du travail doit suivre 9000 salariés !
Il est évident qu'il ne peut pas faire 9000 visites médicales par an.
Il peut à peine contrôler certains aspects dans les entreprises et n’arrive même plus à assumer les visites d’embauche ce qui fait qu'on voit de plus en plus de salariés demander aux prud'hommes d’être indemnisés pour absence de visite d’embauche.
Il y aura sûrement un changement parce que bientôt tous les salariés gagneront aux prud'hommes sur ces dossiers.
Les structures de la médecine du travail ont complètement changé. Là aussi des employeurs ne veulent plus payer.
Le pire c'est que c'est eux qui payent directement les médecins du travail et c'est eux qui sont, au final, les donneurs d'ordres. C'est-à-dire qu'ils peuvent aller jusqu'à demander à un médecin du travail de refaire son rapport avec menace de ne plus le faire travailler.
Il y a des médecins du travail qui n'osent plus prescrire d'arrêt de travail et on a même vu des médecins du travail se suicider. C’est extrêmement grave.
Dominique Ruffié : Des choses importantes ont été dites. On a entendu Denis s'exprimer, fortement comme d'habitude. Il a donné son opinion et c'est une opinion qui se tient.
Malgré tout, moi, je continue d'appeler avec Force Ouvrière bien évidemment au 18 mars et je pense l’avoir dit clairement tout à l'heure. Il faut y être absolument !
Ce n'est pas parce qu'effectivement des organisations sont allées s'asseoir sans signer qu'il faut qu'on reste dans nos fauteuils à attendre que ça se passe.
La deuxième chose et je termine la dessus en citant cet article que Alain a déjà mentionné concernant la fondation de la sécurité sociale en 1945.
Voici l'article premier qui dit bien ce qu'est la sécurité sociale au moment de sa création : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».
Je garde cela pour la conclusion de cette conférence et être sûr qu'on se rappelle bien ce qu'était et ce que doit rester la sécurité sociale.
Jean-Pierre Battais : La sécurité sociale est un enjeu de civilisation. Cela a déjà été dis mais je voudrais insister sur une point : l'efficacité des médicaments et les progrès de la médecine. Prenons l'exemple de la pénicilline qui était à peu près le seul médicament véritablement actif au moment de la guerre et prenons également le traitement du cancer qui n'a été véritablement combattu avec succès qu’à partir des années 1970. Cela signifie que les médicaments sont de plus en plus efficaces, que les hôpitaux sont de mieux en mieux équipés et que les prouesses médicales sont de plus en plus importantes.
Cela coûte de plus en plus cher et pour soigner tout le monde le coût est maintenant extrêmement élevé.
Deux questions peuvent être posées à la société : quelle part est-elle prête à consacrer aux soins pour l'ensemble de la population ? Ou seulement une partie de la population doit elle en bénéficier ? De ce point de vue c'est une tendance générale : le progrès coûte de plus en plus cher et les choix sont des choix de civilisation.
Toute la population ou seulement une partie d’entre elle ? Les patrons ont répondu : ce n’est pas possible pour tout le monde !
Pour nous, c'est un argument supplémentaire pour convaincre de mettre en œuvre toutes nos forces pour que s'organise la résistance à un niveau suffisant.
Quant à convaincre patronat et gouvernement que c'est mieux de se préoccuper de la santé de la totalité de la population plutôt que d'une minorité utile, ces arguments là ne les touchent absolument pas.
Denis Langlet : Deux mots sur le 18 mars. J'ai abordé un aspect du 18 mars.
Il y a l'autre aspect évidemment puisque le scénario à l'origine était prévu qu’il n’y ait même pas de manifestations.
Il devait y avoir la conférence sociale et puis, courant mars, le vote au Parlement et l’affaire, était pliée.
C'est parce qu'il y a eu rejet par deux organisations syndicales de ce sacrifice de la branche famille. Reste le problème de fond sur comment on appelle au 18 mars, comment on le prépare.
Je suis pour faire des pactes entre le délégué et les salariés un pacte entre le délégué et les syndiqués de son entreprise, qu’on se mette d’accord sur le fait qu'on engage une mobilisation pour obtenir le résultat de l'abandon définitif par le gouvernement de ses décisions sur la branche famille.
C'est ça le pacte qu'il faut qu’on scelle. Un pacte qu'on fait voter par les assemblées et c'est sur cette base qu'on prépare le 18 mars et non pas pour porter un témoignage.
Alain Berthou : Rappelons qu’à l'origine de l'appel du 18 mars était un appel des fédérations syndicales des salariés de la sécurité sociale tous ensemble.
Des confédérations les ont ensuite rejoins mais c'est le personnel de la sécu qui avait décidé d’appeler au 18 mars chez premier ministre.
Jean-Pierre Vialle : Je voudrais reposer le problème de savoir si en prenant toutes les sommes qui ont été versées aux assurances complémentaires par les salariés et les employeurs et si tout cet argent était reversé à la sécurité sociale est-ce qu'on ne pourrait pas rembourser tout à tout le monde ? Je crois que ça vaudrait le coup d'essayer de trouver ces chiffres. Cela peut être un des travaux de l'institut.
Je vous rappelle la prochaine réunion sur la dette courant mai et puis rendez-vous dans la rue le 18 mars également.
Fiche annexe 1
Les ordonnances des 4 et 19 Octobre 1945 : Création de la Sécurité Sociale
Au lendemain de la guerre, la volonté de la coalition du Gouvernement Provisoire de la République Française est la reconstruction du pays. Celle-ci passe par la reconstruction matérielle et la réhabilitation des structures industrielles et de transports.
Mais la formidable volonté populaire qui s’exerce en particulier par l’intermédiaire de la CGT et du Conseil National de la Résistance exige une amélioration significative des conditions de vie de la population, qui passe notamment par un renouveau du système de couverture des risques sociaux.
Il s’agit alors d’établir le cadre de ce nouveau système, dans l’attente d’une situation politique stable dans laquelle des réformes complémentaires pourraient être mises en œuvre.
Cette volonté s’exprime dans le programme de la CGT issue de la guerre et, dès mars 1944, lorsque le Conseil National de la Résistance propose dans son programme un « plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail».
En Septembre 1944, Alexandre Parodi, ministre du travail, confie à Pierre Laroque la mission de mettre en œuvre le projet de Sécurité Sociale du programme du CNR, qui sera concrétisé par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 dont l’article premier est ainsi formulé :
« Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent.
L'organisation de la sécurité sociale assure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladies professionnelles et les allocations familiales et de salaire unique aux catégories de travailleurs protégés par chacune de ces législations dans le cadre des prescriptions fixées par celles-ci et sous réserve des dispositions de la présente ordonnance.
Des ordonnances ultérieures procéderont à L'harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur. la couverture des charges de la sécurité sociale est assurée par des cotisations assises sur l’ensemble des rémunérations et gains perçus par les bénéficiaires de chacune des législations. »
Les principes de cet article fondateur sont souvent repris dans une formule : « De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ».
L’article 2 prévoit l’organisation technique et financière de la sécurité sociale par la création :
Des caisses primaires de sécurité sociale; Des caisses régionales de sécurité sociale; Des caisses régionales d'assurance vieillesse des travailleurs salariés ; Une caisse nationale de sécurité sociale; Des organismes spéciaux à certaines branches d'activité ou entreprises; Des organismes propres à la gestion des prestations familiales ;
Ils sont répartis au niveau :
- local : Caisses primaires d’assurance maladie, Caisses d’allocations familiales, Caisses régionales de Sécurité sociale, Caisses prestataires des autres régimes, administrées par des conseils composés de représentants des employeurs et des salariés et placés sous le contrôle des directions régionales de la Sécurité sociale (DRASS).
- national : une Caisse nationale de Sécurité sociale, établissement public est administrée par un conseil comprenant des représentants des caisses et des représentants des pouvoirs publics.
Pierre Laroque chargé d’élaborer ce plan, s’inspire des systèmes allemand et anglais de protection sociale : - le modèle allemand repose sur l’assurance professionnelle obligatoire. Les droits sociaux sont la contrepartie de cotisations professionnelles assises sur les revenus du travail et gérées par des caisses privées.
- Le modèle anglais est basé sur trois grands principes : unité de gestion, universalité des bénéficiaires, uniformité des prestations.
La France va bâtir un système hybride, solidaire et redistributif, alliant protection universelle et gestion autonome par les Représentants des salariés et des représentants du patronat.
En 1945, le financement repose exclusivement sur les cotisations patronales.
Le régime général prend en charge les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès et accidents du travail au profit des salariés du secteur privé. Le chômage, à une époque de plein emploi, n’étant pas un risque social, ce risque n’était pas prévu en 1945.. Seules les allocations familiales bénéficient à la quasi-totalité de la population.
Que garantit la sécurité sociale fondée en 1945 ?
- une protection efficace contre les accidents du travail la responsabilité patronale découle maintenant d’une prescription irréfragable donc automatique
-la couverture des charges familiales incluse dans le régime général de sécurité sociale et financée par une cotisation obligatoire assise sur tous les salaires. « c’est grâce aux allocations familiales que les familles peuvent élever des enfants sans des charges écrasantes il y a d’autres soucis, des dépenses importantes mais il n’y a pas ce qui’ il y avait avant, l’impossibilité d’élever décemment des enfants » (professeur DEBRE en 1947)
- le remboursement des soins médicaux sur le seul critère du besoin
- l’organisation de l’action sanitaire et sociale indépendamment de l’état (hôpitaux, campagnes de vaccination, lutte contre la tuberculose…).
-l’organisation de la protection maternelle et infantile (PMI, Orphelins…)
Fiche annexe 2
Les ordonnances de 1967 du gouvernement De Gaulle contre la Sécurité Sociale.
Rappelons le début de l’article 1 des ordonnances de 1945 créant la sécurité sociale :
« Il est institué une organisation de la Sécurité Sociale, destiné à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. »
C’est à défaire ce principe fondateur de l’égalité des droits que va s’atteler le gouvernement De Gaulle.
Trois rapports sont commandés : en 1964 (Friedel), en 1966 (Bordaz) et en mars 1967 (Canivet) dont les propositions principales sont :
Que les risques doivent être séparés. C’est à dire que chaque branche de la sécurité sociale doit être autonome financièrement et qu’ainsi le gouvernement pourra mieux intervenir dans leur gestion.
Que l’Etat soit associé aux décisions de gestion de la Sécurité sociale.
Le conseil des ministres du 4 mai 1967 demande au parlement que soient donnés les pleins pouvoirs au gouvernement pour décider par ordonnances (sans passer par le débat parlementaire) d’une réforme en profondeur de la sécurité sociale.
Le 22 juin 1967, le parlement vote les pleins pouvoirs à de Gaulle.
Malgré des débats houleux dans la classe politique et une grève générale le 17 mai, les ordonnances sont publiées au Journal officiel le 22 août 1967.
Elles créent trois structures séparant les risques couverts par la sécurité sociale de 1945 :
La caisse nationale d’assurance maladie qui gère les prestations relevant de la maladie et des accidents du travail
La caisse Nationale d’allocations familiales
La caisse nationale d’assurance vieillesse.
Elles prévoient que la caisse nationale attribue à chaque caisse locale une enveloppe financière fermée, calculée sur le nombre de bénéficiaires du secteur.
En cas d’augmentation le directeur de la caisse nationale, nommé par le gouvernement, aurait pouvoir d’augmenter localement les taux de cotisation et de limiter les prestations.
Il faudra attendre la grève générale de 1968 un an plus tard et le référendum de 1969 où le Non l’a emporté largement pour que soit maintenu l’essentiel de la sécurité sociale de 1945.
Mais, jusqu’à ce jour, le patronat et les gouvernements successifs n’auront de cesse de promulguer de nouvelles lois et mesures pour amoindrir les principes fondateurs :
- Unité des risques gérés au plan national ;
- Prestations versées sur la base des droits identiques dans tout le pays ;
- Gestion des caisses par les représentants des salariés ;
- Recherche de nouveaux modes de financement autres que les cotisations patronales.
- la protection maternelle et infantile (PMI, Orphelins…)
Fiche annexe 3
Bref historique, organisation et poids social de la sécurité sociale
L’ébauche d’une protection et d’une législation sociale se fait dès le 19ème siècle grâce, en premier lieu, au développement des sociétés de secours mutuels. Le monde ouvrier naissant cherche à se prémunir contre les aléas de la vie : santé, famille, vieillesse… De véritables sociétés ouvrières organisées par branche et par métier voient le jour comme la Société du devoir mutuel des Canuts de Lyon.
L’administration politique, dès ces premières tentatives, souhaite encadrer ces sociétés pour les contrôler par différentes lois. Ce sera notamment le cas dès le règne de Louis Philippe jusqu’à nos jours. Par exemple de 1893 à 1945, de nombreuses lois seront promulguées dans ce sens.
- La loi Humann du 22 juin 1835, ainsi que la loi du 1er avril 1898, dite charte de la mutualité (ancêtres de nos actuelles mutuelles.)
- La loi du 15 juillet 1893 créant une assistance médicale gratuite pour tout Français malade et indigent
- La loi du 27 juin 1904 créant l’aide sociale à l’enfance
- La loi du 14 juillet 1905 proposant une assistance aux personnes âgées incurables et infirmes.
- La loi du 11 mars 1932 créant l’ancêtre des caisses d’allocation familiale
- La loi du 9 avril 1898 autorisant l’employeur à contracter une assurance, en matière d’accident du travail.
- La loi du 5 avril 1910 instituant un régime d’assurance obligatoire pour les salariés du commerce et de l’industrie.
- Les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 créant une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès à destination des salariés titulaires d’un contrat de travail.
- La loi du 30 avril 1928 créant un régime spécial pour les agriculteurs.
Cependant ces lois ne se fondent pas encore sur le principe universel de l’égalité des droits pour tous les bénéficiaires et ne permettent qu’une couverture partielle des risques.
1945 : Pendant la 2ème guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance (CNR) regroupant les mouvements de la résistance, les confédérations syndicales CGT et CFTC et des hommes politiques, élabore dans la clandestinité un programme de gouvernement comportant des mesures sociales. L’accord se fait sur un « plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail».
Ainsi, est créée la sécurité sociale par les ordonnances des 4 et 10 0ctobre 1945 prises sous le gouvernement De Gaulle.
Elle constitue une des réalisations les plus durables issues de la libération.
Son système s’inspire du modèle allemand (Bismarck) par son financement par les employeurs (part patronale et part salariale), par son mécanisme d’assurance payée par les actifs et gérée paritairement par les syndicats et les organismes patronaux. Elle s’inspire aussi du système anglais (Beveridge) par son universalité son unicité et l’égalité complète des assurés sociaux.
L’examen de quelques articles de l’ordonnance du 4/10/1945 permet de mieux appréhender, à cette époque, les objectifs et le financement de la sécurité sociale
Article 1 : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent. » L'organisation de la sécurité sociale assure ainsi le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladies professionnelles et les allocations familiales. Des ordonnances ultérieures procéderont à l'harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur.
Article 32 : Le taux de la cotisation des assurances sociales est de 12 p. 100. La moitié de la cotisation est à la charge de l'employeur, l'autre moitié à la charge du salarié ou assimilé. Des taux forfaitaires de cotisation peuvent être fixés par des arrêtés du ministre du travail et de la sécurité sociale pour certaines catégories de salariés ou assimilés. La contribution ouvrière est précomptée sur le salaire ou gain de l'assuré lors de chaque paye.
Article 34 : La cotisation des allocations familiales est intégralement à la charge de l'employeur. Le taux de cette cotisation est fixé suivant les modalités déterminées par un arrêt du ministre du travail et de la sécurité sociale et des ministres de l'économie nationale et des finances.
Article 35 : La cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est à la charge exclusive de l'employeur. Le taux de la cotisation est déterminé annuellement pour chaque catégorie de risques par la caisse régionale de sécurité sociale d'après les règles fixées par arrêté du ministre du travail et de la sécurité sociale et des ministres de l'économie nationale et des finances.
De 1946 à 1952, différentes lois sont adoptées étendant aux régimes particuliers (Fonctionnaires, cadres, étudiants agriculteurs…) les principes généraux des ordonnances de 1945.
A partir des années 70 , sous la pression des cercles dirigeants du patronat, une offensive permanente est engagée dont le but,, largement avouée et répété depuis, est d’aboutir au désengagement du patronat, de ses obligations. Ces obligations, inscrites dans les ordonnances de 1945, concernent essentiellement le mode de financement et sont à l’origine de la solidité et la permanence du système.
La brèche permettant à cette pression des cercles patronaux et financiers de s’exercer avec de plus en plus d’efficacité est ouverte en 1991 par la création de la CSG, un impôt qui ne dit pas son nom, participant du financement de la protection sociale. Il est aisé de comprendre que si l’impôt finance la sécurité sociale, ce mode de financement peut chaque année être remis en cause lors du vote du budget de la nation. Afin de mieux mesurer la différence, chacun peut comparer les articles 34 et 35 concernant les cotisations au rendement de la CSG qui est de 87 % à la charge des salariés et dont le taux initialement fixé à 1,1 % atteint 7,5 % en 2012. Sur ce modèle de la CSG, JUPPE ajoute en 1995 la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).
Ces attaques sont incessantes ? Rappelons quelques dates : 1976 : plan Barre puis Plan Veil, plan Barrot, plan Seguin , création de la CSG par Michel Rocard en 1991, plan Juppé de 1995… etc
Sont apparus également le forfait hospitalier, le déremboursement progressif des médicaments, le budget global des hôpitaux…
Selon l’INSEE, la part des dépenses de santé en % dans le PIB était en France:
1970 : 5,7 % 1980 : 7,4 % 1990 : 8,6 % 1999 : 9,3 %
En 2004, nouvelle contre réforme gouvernementale de la sécurité sociale.
Les exonérations de cotisations patronales ayant entrainé une forte augmentation des déficits au début des années 2000 (6 milliards d’euros en 2002, 11 en 2003 et 11,6 en 2004), la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a pour objectif de réformer en profondeur le système selon trois orientations :
- la réorganisation de la gestion de l’assurance maladie ;
- une nouvelle organisation des soins qui vise la maîtrise des dépenses de santé ;
- une réforme du financement de l’assurance maladie.
La loi fixait l’objectif de dégager quinze milliards d’euros d’économies et de ressources nouvelles pour parvenir à l’équilibre financier en 2007 (10 milliards d’économies et 5 milliards de recettes nouvelles).
La loi prévoyait notamment :
- L’instauration d’une franchise médicale de un euro par acte médical, la mise en place d’un dossier médical personnel, le développement de parcours de soins coordonnés autour d’un médecin traitant et l’amélioration des liens entre hôpitaux et médecine de ville ;
- la création d’une Haute autorité de santé chargée de se prononcer sur l’efficacité thérapeutique des produits, des actes et des protocoles de soins ;
- l’élargissement de la délégation de gestion confiée à l’assurance maladie, qui serait associée à la définition de la politique hospitalière et de la politique du médicament ;
- des mesures de financement de l’assurance maladie appuyées notamment sur la contribution sociale généralisée et la contribution sociale de solidarité des sociétés. La loi du 17/06/2004 a instauré un prélèvement social spécifique sur les revenus du patrimoine et les placements afin d’alimenter la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées. Son taux est de 5,4 % à compter du 1/07/2012 cet impôt a été complété en 2009 par une taxe additionnelle de 1,1 %
A suivre…