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Extraits de Lettres de Loin de Lenine

06 Nov 2016
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« Lettres de loin. »

Lénine (Editions sociales, éditions du progrès.)

Nous publions ci-dessous des extraits d'articles rédigés par Lénine ayant trait à la situation de la Russie depuis la première révolution de 1905. Lénine, depuis la Suisse où il est réfugié, fait parvenir en Russie ses réflexions et analyses. Ce petit livre de 146 pages revient donc, sur les conditions particulières de la Russie du début du XXème siècle, dans lesquelles le peuple russe à partir de 1905 entame le processus pour se débarrasser de l’oppression, de la guerre et de la misère.
Le but de ces citations est de (re)donner envie au lecteur de se (re)plonger dans ses lectures à l’appui de la réflexion individuelle et de la recherche collective. Si ces extraits permettent d’aider, aujourd'hui en 2016, à la recherche en commun de la solution des problèmes auxquels les peuples et les classes ouvrières sont confrontés, le but sera atteint.

Les premières citations sont extraites d'un discours prononcé par Lénine à Zurich en 1917. Il cite, pour commencer les passages de

la pétition que des milliers d’ouvriers, conduits par la pope Gapone, le 22 janvier 1905 (le « dimanche sanglant »), sont allés porter au Tsar :

« Nous ouvriers, habitants de Pétersbourg, nous venons à Toi. Nous sommes des esclaves misérables, humiliés. Nous sommes accablés sous le despotisme et l'arbitraire. Notre patience étant à bout, nous avons cessé le travail et prié nos maîtres de nous donner au moins ce sans quoi la vie n'est qu'une torture. Mais cela nous a été refusé. Selon les fabricants, cela n'est pas conforme à la loi.

Nous sommes ici des milliers et, comme tout le peuple russe, nous sommes privés de tous droits humains. Tes fonctionnaires nous ont réduits à l'esclavage.… »

La pétition énumère les revendications suivantes : amnistie, libertés civiques, salaire normal, remise progressive de la terre au peuple, convocation d’une assemblée constituante élue au suffrage universel et égal. Elle se termine par ces mots :

« Sir ! Ne refuse pas d'aider Ton peuple ! Abats la muraille qui Te sépare de Ton peuple ! Ordonne que satisfaction soit donnée à nos requêtes, fais-en le serment et Tu rendras la Russie heureuse ; Sinon, nous sommes prêts à mourir ici même Nous n'avons que deux chemins : la liberté et le bonheur ou la tombe. »

Le Tsar fait alors tirer sur les ouvriers désarmés et charger la foule à l’arme blanche Il sera relevé plus de 1000 morts et plus de 2 000 blessés.

L’indignation ouvrière est indescriptible.

La grève de masse :

« Pages 15, 16 et 17 ».

«Avant le 22 janvier 1905, le parti révolutionnaire de Russie groupait une poignée de gens. Les réformistes de l'époque (tout comme ceux d'aujourd'hui) nous appelaient par dérision une « secte ». Quelques centaines d'organisateurs révolutionnaires, quelques milliers de membres d'organisations locales, une demi-douzaine de feuilles révolutionnaires paraissant tout au plus une fois par mois, publiées pour la plupart à l'étranger et introduite clandestinement en Russie au prix d'incroyables difficultés et de grands sacrifices, voilà ce qu’étaient, à la veille du 22 janvier 1986, les partis révolutionnaires de Russie, et avant tout la social-démocratie révolutionnaire. Cela donnait en apparence réformistes bornés et prétentieux le droit d'affirmer qu'il n'y avait pas encore de peuple révolutionnaire en Russie. Mais, en quelques mois, les choses ont changé du tout au tout. Les centaines de social-démocrates révolutionnaires furent « subitement » des milliers, et ces milliers devinrent les chefs de 2 à 3 millions de prolétaires. La lutte prolétarienne suscita une grande effervescence, et même en partie un mouvement révolutionnaire, au plus profond de la masse des 50 à 100 millions de paysans. Le mouvement paysan eut une répercussion dans l'armée et entraîna des révoltes militaires, des engagements armés entre les troupes.

C'est ainsi qu'un immense pays de 130 millions d'habitants entra dans la révolution ; c'est ainsi que la Russie somnolente devint la Russie du prolétariat révolutionnaire et du peuple révolutionnaire. Il est nécessaire d'étudier cette transformation, de comprendre ce qui l’a rendue possible, d'analyser, pour ainsi dire, ses modalités et ses voies.

La grève de masse en fut l’agent le plus puissant. La révolution russe a ceci d'original qu'elle était démocratique bourgeoise par son contenu social mais prolétarienne par ses moyens de lutte. C'était une révolution démocratique bourgeoise parce que le but auquel elle aspirait dans l'immédiat et qu'elle pouvait atteindre sur l’heure par ses propres forces était la république démocratique, la journée de huit heures, la confiscation des immenses propriétés foncières de la haute noblesse, toute mesure que réalisa presque entièrement en France la révolution bourgeoise de 1792 et 1793.

La révolution russe était en même temps une révolution prolétarienne, non seulement parce que le prolétariat y était la force dirigeante, l'avant-garde du mouvement, mais aussi parce que l'instrument de lutte spécifique du prolétariat, la grève, constituait le levier principal pour mettre en branle des masses et le fait le plus caractéristique de la vague montante des événements décisifs.

Dans l'histoire mondiale, la révolution russe est la première– mais certainement pas la dernière– grande révolution où la grève politique de masse ait joué un rôle extrêmement important. On peut même affirmer qu'on ne saurait comprendre les péripéties de la révolution russe et la succession de ses formes politiques si l'on n'en étudie pas la base après la statistique des grèves.…

Le nombre moyen annuel des grévistes en Russie, pendant les 10 années qui précédèrent la révolution, fut de 43 000.

Il y eut donc au total 430 000 grévistes pendant les 10 années antérieures à la révolution. En janvier 1905, premier mois de la révolution, on compta 430000 grévistes. Soit, en un mois seulement, plus que pendant les 10 années précédentes !

Aucun pays capitaliste du monde, même parmi les plus avancés comme l'Angleterre, les États-Unis d'Amérique ou l’Allemagne n’a connu un mouvement gréviste aussi vaste que la Russie en 1905. Le nombre total de grévistes fut de 2 800 000, soit le double du nombre total des ouvriers industriels ! Cela ne prouve évidemment pas dans les villes de Russie, les ouvriers industriels fussent plus cultivés, plus fort ou mieux adaptés à la lutte que leurs frères d'Europe occidentale. C'est le contraire qui est vrai.

Mais cela montre combien grande peut-être l'énergie qui sommeille au sein du prolétariat. Cela indique qu’à une époque révolutionnaire– et je l'affirme sans la moindre exagération, d'après les données les plus précises fournis par l'histoire de la Russie,– le prolétariat peut déployer une énergie combative 100 fois plus intense qu'à l'ordinaire, dans les périodes d'accalmie. Il en ressort que, jusqu'à 1905, l'humanité ne savait pas encore quelles forces énormes et grandioses le prolétariat est à même de déployer et déploiera quand il s'agit de lutter pour un but vraiment sublime, d'une façon vraiment révolutionnaire ! »

Page 18, 19

« L'enchevêtrement des grèves économiques et des grèves politiques a joué un rôle extrêmement original pendant la révolution. Il ne fait pas de doute que seule la liaison la plus étroite entre ces deux formes de grève pouvait assurer une grande force au mouvement. La masse des exploités n'aurait pu en aucune façon être entraînée dans le mouvement révolutionnaire si elle n’avait eu chaque jour sous les yeux des exemples lui montrant comment les ouvriers salariés de diverses branches d’industrie obligeaient les capitalistes à améliorer immédiatement, sur-le-champ, leur situation……

Seule l'action éduque de la classe exploitée, seule elle lui donne la mesure de ses forces, élargit son horizon, accroît ses capacités, éclaire son intelligence et trempe sa volonté… »

Page 20

« Certes, il était indispensable à cet effet que l'avant-garde de la classe ouvrière n'entende pas par lutte des classes la lutte pour les intérêts d'une faible couche supérieure, comme les réformistes se sont trop souvent efforcés de l'inculquer aux ouvriers, mais que le prolétariat intervienne effectivement en tant qu'avant-garde de la majorité des exploités et l'entraîne au combat, comme ce fut le cas en Russie en 1905 et comme cela sera sans nul doute au cours de la prochaine révolution prolétarienne en Europe. »

Page 21

« Le mot gréviste » a acquis pour les paysans une signification tout à fait nouvelle: il désignait une sorte de rebelles, de révolutionnaire, ce qui s'exprimait naguère par le mot « étudiant ». Mais dans la mesure où « l'étudiant » appartenait à la classe moyenne, aux « lettrés », aux « maîtres », il était étranger au peuple. Le «gréviste », par contre venait lui-même du peuple, appartenait lui-même au nombre des exploités ; expulsé de Pétersbourg, il retournait très souvent au village où il parlait à ses camarades de l'incendie qui s'allumait dans les villes et qui devait détruire les capitalistes comme les nobles. Un nouveau type d’homme a surgi dans les campagnes russes : le jeune paysan conscient. Il prenait contact avec les «grévistes », il lisait les journaux, il racontait au paysans ce qui se passait dans les villes, il expliquait à ses camarades du village la portée des revendications politiques, il les appelait à lutter contre la grande aristocratie foncière, contre les popes et les fonctionnaires.

Les paysans se rassemblaient en groupe pour examiner leur situation et s’engageaient peu à peu dans la lutte : ils attaquaient en foule les grands propriétaires fonciers, mettaient le feu à leurs châteaux et domaines où s'emparaient de la réserve du blé et des autres vivres, tuaient les policiers, exigeaient que les terres immenses appartenant aux nobles fussent remises au peuple. »

Pages 23 et 24 :

« Permettez-moi de vous raconter en détail un petit épisode de cette rébellion de la flotte de la mer Noire afin de vous donner un tableau concret des événements à leur point culminant :

« On organisait des réunions d'ouvriers et de marins révolutionnaires ; elles se firent de plus en plus fréquentes. Comme il était interdit aux militaires d'assister au meeting des ouvriers, ces derniers commencèrent à se rendre en masse à ceux des militaires. Ils se rassemblaient par milliers. L'idée d'une action commune trouva un vif écho. Les compagnies les plus conscientes élurent des délégués.

Les autorités militaires décidèrent alors de prendre des mesures. Quelques officiers ayant tenté de prononcer au meeting des discours «patriotiques », les résultats furent lamentables : exercés à la discussion, les marins réduisirent leurs supérieurs à une fuite honteuse. Devant ces échecs, on décida une interdiction générale des meetings. Dans la matinée du 24 novembre 1905, une compagnie en état d'alerte fut placée devant la porte de la caserne.

Le contre-amiral Pissarevski ordonna publiquement : « ne laissez sortir personne de la caserne ! Tirez en cas de désobéissance ! » Le marin Pétrov sortit du rang de la compagnie qui avait reçu cet ordre, chargea ostensiblement son fusil, abattit d'un coup de feu le capitaine en second Stein, du régiment de Biélostok, et blessa d'un second coup de feu le contre-amiral Pissarevski. Un officier ordonna : « arrêtez-le ! » Personne ne bougea. Pétrov jeta son fusil à terre et s'écria : « qu'est-ce que vous attendez ? Arrêtez-moi donc ! » Il fut arrêté.

Accouru de toutes parts, les marins exigèrent impérieusement sa mise en liberté et déclarèrent qu'ils se portaient caution pour lui. L'excitation était à son comble.

  • Pétrov, demanda un officier, cherchant une issue à la situation, ton coup de feu est parti par hasard, n'est-ce pas ?

  • Comment, par hasard ! Je suis sorti du rang, j'ai chargé mon arme et j'ai visé, est-ce par hasard ?

  • Ils réclament ta libération…

Et Petrov fut remis en liberté. Mais les marins ne s’en tinrent pas là. Tous les officiers de service furent arrêtés, désarmés et conduits dans les bureaux… les délégués des marins, qui étaient une quarantaine, délibérèrent toute la nuit. Ils décidèrent de relâcher les officiers, mais de leur interdire désormais l'accès de la caserne… »

Page 29 :

« En octobre et décembre 1905, la courbe ascendante de la révolution russe atteint son plus haut point. Toutes les sources de l'énergie révolutionnaire du peuple jaillissent plus impétueusement qu'auparavant. Le nombre de grévistes, qui s'élevait en janvier 10905, comme je vous l'ai dit, à 440 000, a dépassé en octobre 1905 le demi-million (en un seul mois ; remarquez-le !). Mais à ce chiffre, qui ne comprend que les ouvriers industriels, il faut ajouter plusieurs centaines de milliers de cheminots, d'employés des PTT, etc.

La grève générale des cheminots arrêta dans toute la Russie le trafic ferroviaire et paralysa sérieusement l'effort du gouvernement. Les portes des universités s'ouvrirent et les salles de conférence, exclusivement destinées, en temps de paix, à intoxiquer les jeunes esprits par la sagesse professorale pour en faire des laquais dociles de la bourgeoisie et du tsarisme, servirent désormais de salles de réunion à des milliers et des milliers d'ouvriers, d'artisans et d'employés, qui discutaient ouvertement et librement de questions politiques. »

Les soviets.

Page 30

« Une organisation de masse d'un caractère original se forma dans le feu du combat : les célèbres « soviets de députés ouvriers », assemblées de délégués de toutes les fabriques. Dans plusieurs villes de Russie, ces soviets de députés ouvriers assumèrent de plus en plus le rôle d’un gouvernement révolutionnaire provisoire, le rôle d'organes et de guide des soulèvements. On tenta de créer des soviets de députés de soldats et de matelots, et de les associer aux soviets de députés ouvriers. »

Plus loin page 115 Lénine écrira concernant la situation en 1917:

« Les ouvriers et les soldats ont formé un soviet de Députés, élus à raison d’un député par 1000 ouvriers ou soldats. Ce soviet siège à présent au palais de Tauride et compte plus de 1000 délégués. Et il est réellement le représentant du peuple.

Au début ce soviet peut commettre diverses erreurs. Mais il finit infailliblement par revendiquer hautement, impérieusement la paix, le pain, la république démocratique.

Le soviet des députés ouvriers et soldats lutte pour la convocation immédiate d'une assemblée constituante, pour la participation des soldats aux élections et à la solution du problème de la guerre ou de la paix. Le soviet réclame la remise des terres du tsar et des grands propriétaires fonciers à la paysannerie. Le soviet s'efforce d'instaurer la république et ne veut pas entendre parler de la désignation de nouveaux et « bon » tsar. Le soviet exige le suffrage universel et égal pour tous les hommes et pour toutes les femmes. Le soviet a obtenu l'arrestation du tsar et de la tsarine.. »

Sur l'Etat.

Page 82.

« Nous avons besoin d'un pouvoir révolutionnaire, nous avons besoin (pour une certaine période de transition,) d'un État. C'est ce qui nous distingue des anarchistes. La différence entre marxistes révolutionnaires et anarchistes ne tient pas ce seulement au fait que les premiers sont partisans de la grande production communiste centralisée, et les seconds de la petite production morcelée. Non, la différence porte précisément sur la question du pouvoir, de l'État : nous sommes pour l'utilisation révolutionnaire des formes révolutionnaires de l'État dans la lutte pour le socialisme : les anarchistes sont contre.

Nous avons besoin d'un État. Mais non pas tel que l’a créé partout la bourgeoisie, depuis les monarchies constitutionnelles jusqu'aux républiques les plus démocratiques. Et c'est ce qui nous sépare des opportunistes et des Kautskistes des vieux partis socialistes en voie de putréfaction, qui ont déformé ou bien oublié les enseignements de la Commune de Paris et l'analyse qu’en ont donnée Marx est Engels.

Nous avons besoin d’un Etat, mais pas de celui qu'il faut à la bourgeoisie et dans lequel les organes du pouvoir tels que la police, l'armée et la bureaucratie (le corps des fonctionnaires) sont séparés du peuple, opposé au peuple. Toutes les révolutions bourgeoises n'ont fait que perfectionner cette machine d'État et la faire passer des mains d'un parti dans celle d'un autre.

Le prolétariat lui, s'il veut sauvegarder les conquêtes de la présente révolution et aller de l'avant, conquérir la paix, le pain et la liberté, doit « démolir», pour nous servir du mot de Marx, cette machine d'État « toute prête » et la remplacer par une autre, en fusionnant la police, l'armée et le corps des fonctionnaires avec l'ensemble du peuple en armes. En suivant la voie indiquée par l'expérience de la Commune de 1871 et de la révolution russe de 1905, le prolétariat doit organiser et armer tous les éléments pauvres et exploités de la population, afin qu’eux- mêmes prennent directement en main les organes du pouvoir d'État et forment eux-mêmes les institutions de ce pouvoir. »

La police/la milice.

Page 86 et 87

« De quelle milice avons-nous besoin, nous le prolétariat et tous les travailleurs ? D'une milice véritablement populaire, c'est-à-dire, primo, formée de la population tout entière, de tous les citoyens adultes des deux sexes. Et réunissant, secundo, les fonctions d'une armée populaire et celle de la police, celle de l'organe principal essentiel du maintien de l'ordre public et de l'administration de l'État.

Pour fixer les idées sur ce point, je citerai un exemple purement schématique. Point n'est besoin de dire qu'il serait absurde de prétendre dresser un « plan » quelconque de milice prolétarienne : quand les ouvriers et toute la masse du peuple se mettront pratiquement à l'œuvre, ils feront 100 fois mieux, quant à la mise au point et à l'organisation, que n'importe quel théoricien. Je ne propose pas de « plan », je ne veux qu’illustrer ma pensée.

Petrograd compte près de 2 millions d'habitants dont plus de la moitié ont de 15 à 65 ans. Prenons-en la moitié, soit 1 million. En retranchant même de ce nombre tout un quart de malades, etc, qui ne participerait pas actuellement au service public pour des raisons valables. Restent 753000 personnes qui, en consacrant à la milice un jour sur 15, par exemple (tout en touchant leur paye versée par les patrons), formerait une armée de 50 000 hommes.

Voilà le type « d'État » dont nous avons besoin !

Voilà quelle milice serait, de fait et pas seulement en paroles, une « milice populaire ». Voilà le chemin que nous devons suivre pour qu'il soit impossible de rétablir une police ou une armée séparée du peuple… »

Page 88

« Cette milice transformerait la démocratie de belle enseigne destinée à masquer l'asservissement du peuple aux capitalistes qui s'en moquent en une véritable éducation des masses en vue de les initier à toutes les affaires publiques. Cette milice entraînerait les jeunes gens à la vie politique en les instruisant non seulement par la parole mais aussi par l'action, par le travail. Cette milice développerait les fonctions qui, pour employer un langage savant, sont du ressort de la « police du bien-être », l'hygiène publique, etc., en y faisant participer toute la population féminine adulte. Car il est impossible d'assurer la vraie liberté, il est impossible de bâtir même la démocratie, et encore moins le socialisme, sans la participation des femmes aux fonctions publiques, à la milice, à la vie politique, sans les arracher à l'ambiance abrutissante du ménage et de la cuisine.

Cette milice serait prolétarienne, car les ouvriers industriels des villes y exerceraient une influence dirigeante sur les masses des pauvres, aussi naturellement et inévitablement qu'ils ont joué un rôle de direction dans toute la lutte révolutionnaire du peuple en 1905–1907 comme en 1917.

Cette milice assurerait un ordre absolu et une discipline fraternelle, consentie de tout cœur. Et en même temps, elle permettrait de combattre la crise très grave, traversée par tous les pays belligérants, grâce à des moyens vraiment démocratiques, de procéder à la répartition prompte et équitable du blé et des autres produits alimentaires, de réaliser le « service général du travail » que les Français appellent aujourd'hui « mobilisation civique » et les Allemands «obligations du service civil », et sans lequel il est impossible – il s'est avéré impossible – de panser les plaies qu’a déjà infligées et que continue d'infliger la terrible guerre de brigandage.……

Que chaque famille ait du pain ? Que tout enfant ait sa bouteille de bon lait et que pas un adulte de famille riche n'ose prendre du lait tant que les enfants n’en seront pas pourvus ? Que les palais et les riches appartements abandonnés par le tsar et par l’aristocratie ne restent pas inoccupés, mais servent de refuge aux sans-gîtes et aux indigents ? Qui peut appliquer ces mesures, sinon une milice populaire à laquelle les femmes participeraient absolument à légales des hommes ?……

L'impérialisme, stade suprême du capitalisme.

La guerre de 1914/1918.

Page 97 et 98

« L'impérialisme est le capitalisme arrivé un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tous les territoires du globe entre les plus grands pays capitalistes.

Le fait essentiel est que le capital atteint des dimensions gigantesques. Des associations comprenant un petit nombre de gros capitalistes (cartel, syndicats patronaux, trusts) brassent des milliards et se partagent l'univers. Toute la surface du globe est partagée. La guerre est dû au conflit entre deux groupes de milliardaires extrêmement puissants, le groupe Anglo-français et le groupe allemand, pour un nouveau partage du monde.

Le groupe Anglo-français veut dépouiller tout d'abord l'Allemagne en lui prenant ses colonies (presque toutes sont déjà annexées), puis la Turquie.

Le groupe allemand entend se réserver la Turquie et compenser la perte de ses colonies par la conquête de petits états voisins (Belgique, Serbie, Roumanie).

Telle est la vérité authentique, dissimulée par toutes sortes de mensonges bourgeois sur une guerre « libératrice » et « nationale », « une guerre du droit et de la justice » et autres boniments analogues dont usent toujours les capitalistes pour berner les simples gens.

La Russie ne fait pas la guerre à ses propres frais. Le capital russe participe au capital Anglo-français. La Russie fait la guerre pour piller l'Arménie, la Turquie, la Galicie…

Ce sont les représentants et les chefs de toute la classe des grands propriétaires fonciers et des capitalistes. Ils sont liés au capital.

Les capitalistes ne peuvent pas plus renoncer à leurs intérêts qu'un homme ne peut se soulever lui-même par les cheveux. »