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Le traité transatlantique par JP Vialle 20/11/2013

20 Nov 2013
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Le traité transatlantique

Par Jean Pierre Vialle 20 novembre 2013

Un peu plus de deux mois avant la signature des traités de Rome, le 18 janvier 1957, Pierre Mendès-France motivait son opposition dans une intervention à l’Assemblée Nationale :

"Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme "providentiel", soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car, au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale".

Pierre Mendès-France ne pouvait pas savoir qu'il aurait raison à ce point.

Les démocraties ont effectivement donné délégation aux autorités extérieures que sont les grandes organisations internationales comme le FMI, la Banque Mondiale, l'OCDE et l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) puis l'Uruguay Round qui a donné naissance à l'OMC et les accords qu'elle administre, au premier rang desquels l'AGCS.

Et plus près de nous en Europe nous avons donné délégation à la Commissions Européennes

L'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), est un club de pays riches, créée pour gérer le plan Marshall en Europe. C’est en son sein qu’a été négocié en secret l’Accord Multilatéral sur l’investissement (AMI). L’AMI contenait des dispositions établissant les droits des sociétés transnationales et les devoirs des Etats.

Grâce à des fuites en 1998, un mouvement citoyen a pu torpiller le projet.

Devant la contestation internationale ce projet est abandonné, enfin presque, car depuis ce sont plus de 500 accords bilatéraux ou multilatéraux qui ont été conclus dans le monde entier !

C'est maintenant une habitude, lorsque les citoyens refusent une politique, un accord ou un traité, on change le titre et on les faits revoter ou on repasse le plat autrement ou plus tard. Mais ce qui est sorti par la porte reviens un jour par la fenêtre.

Comme pour le traité européen par exemple auquel nous avions dit non.

Mais qui donc est à la manoeuvre ?

Les Multinationales et leurs Lobis, (plus de 14 000 lobbyistes à Bruxelles), les très nombreux organismes créés pour l'occasion, la Commission Européenne...

Mais aussi LE PARLEMENT EUROPEEN qui travaille... EN CATIMINI

Un peu plus de deux mois avant les dernières élections européennes de juin 2009, sans que les médias nationaux en parlent, ni que les partis politiques, sauf un, n'abordent le sujet, une résolution est adoptée le 26 mars 2009 par le Parlement européen.

Elle est intitulée :

"L’état des relations transatlantiques suite aux élections aux Etats-Unis".

Par cette résolution, l’Union européenne confirme son credo néolibéral en faisant des Etats-Unis son partenaire privilégié, en prenant ses conseils auprès de puissantes multinationales privées et en fixant un calendrier précis (le Grand Marché transatlantique, d’ici 2015, autant dire demain !).

Extraits de la Résolution du Parlement européen du 26 mars 2009 sur l'état des relations Transatlantiques

Le Parlement européen,

Vu ses précédentes résolutions sur les relations transatlantiques, (…)

Estime qu'il est approprié que la négociation du nouvel accord débute une fois le traité de Lisbonne entré en vigueur, de façon à ce qu'elle soit achevée avant 2012; (…)

Se félicite tout particulièrement de la présence croissante d'organisations d'origine américaine à Bruxelles. (…)

Questions économiques et commerciales

Invite instamment les partenaires à mettre à profit tout le potentiel du Conseil économique transatlantique (CET) pour surmonter les obstacles actuels à l'intégration économique et pour réaliser un marché transatlantique unifié d'ici à 2015. (…)

Le texte complet est sur le site du Parlement européen.

Je vous disais plus de 500 accords bilatéraux signés sur tous les continents. Pas question d'en faire le tour, mais voici des exemples.

En janvier 1994 entre en vigueur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), signé par le premier ministre Canadien Brian Mulroney, le président mexicain Carlos Salinas et le président américain George H.W. Bush.

Selon le Ministère des affaires étrangères canadien: "l’ALENA est à l’origine de la croissance économique et de la hausse du niveau de vie de la population des trois pays membres."

Dans les faits les paysans mexicains qui cultivaient toutes les variétés de Maïs depuis toujours ne peuvent plus rivaliser avec le maïs OGM subventionné importé des USA et sont réduits à la misère.

A propos de la Colombie, Marie-Monique Robin journaliste d'investigation, réalisatrice et écrivaine française écrit sur son blog :

"Ce soir je suis en colère, et je l’assume.(...)

L’humanité va crever de l’indifférence, des discours mous-du-genou, de l’incapacité des pauvres bipèdes que nous sommes à nous lever pour arrêter la barbarie et défendre la vie.

La Colombie a signé un « accord de libre échange » avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur. Cet accord contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des « semences certifiées », c’est-à-dire produites par les « sélectionneurs » comme … Monsanto ou Syngenta.

Pour remplir cette « clause », l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs.

Depuis le 19 août, des dizaines de milliers de Colombiens – paysans, étudiants, mineurs, chauffeurs routiers, médecins- se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même."

Autre exemple :

Les discussions sur l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne Engagées en 2008, ont abouti le 18 octobre de cette année.

Le saviez-vous ?

Il a été signé dans le plus grand secret. Seuls les négociateurs et hommes d'affaire ont eu accès au texte. Mais on sait déjà qu'il aura d'importantes répercussions pour l'agriculture européenne, les services publics, les droits accordés aux multinationales, les règles environnementales et sanitaires, l'accès aux médicaments, etc.

Il consacre les intérêts des multinationales sur l'intérêt général. Il ouvre le droit à une entreprise de poursuivre un État, une région, ou une commune, devant un « tribunal d’arbitrage », créé à cet effet, si une réglementation la prive de bénéfices escomptés.

C'est sur ce modèle que se négocie l'accord Transatlantique entre les USA et EU, mais aussi l’accord de partenariat Trans pacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), actuellement en cours d’adoption dans douze pays après avoir été ardemment promu par les milieux d’affaires américains.

Le 15 juin 2013, sous le titre : "Accord transatlantique : fin de l’exception démocratique" l'association Attac a publié le Communiqué de presse suivant:

"Les ministres européens du commerce ont donné mandat à la commission européenne pour négocier un partenariat avec les États-Unis, portant sur le libre-échange des biens, des services des capitaux, et surtout sur la suppression des normes et réglementations qui porteraient préjudice au commerce et à l’investissement des entreprises. La France a porté le principe de l’exception culturelle, qui pour l’instant et de manière très confuse, se trouve exclue des négociations, avec possibilité de rouvrir le dossier. Le processus est donc lancé.

Les gouvernements ont accepté de négocier leurs choix agricoles et alimentaires, les services publics, les droits sociaux, les normes financières, les choix énergétiques et climatiques. Ils ont accepté de renoncer à la capacité politique de construire démocratiquement des normes, des règlements, et de la transférer aux entreprises et aux tribunaux ad hoc qui jugeront des litiges entre les entreprises, les États et les collectivités territoriales."

La France s'est distinguée en refusant d'inclure son "exception culturelle" dans les négociations.

Cela a valu au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso une grosse colère. En juin 2013 Il a violemment critiqué dans "l'International Herald Tribune", journal américain, la volonté de la France d'exclure le secteur audiovisuel des négociations. "Cela fait partie de ce programme antimondialisation que je considère comme totalement réactionnaire", déclare M. Barroso

"Certains [de ceux qui défendent l'exception culturelle] disent être de gauche mais ils sont en fait extrêmement réactionnaires", insiste-t-il.

Mais si le secteur de l'audiovisuel est exclu, pour l'instant, cela signifie que tout le reste est dans cet accord.

Faute de temps, je vous renvoie à l'article de Lori M. Wallach dans le numéro de novembre du Monde diplomatique dont le titre est "Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens".

Voilà comment se présente le très grand et très beau Traité Transatlantique, si cher à Mr Barroso.

La France n'a plus la main, la commission européenne négocie en notre nom.

Les peuples sont dépossédés de leurs choix démocratiques, c'est la destruction programmée de tous les modèles sociaux qui ont été si long à mettre en place.

ANNEXES

Extraits de l'article de Lori M. Wallach dans le numéro de novembre du Monde diplomatique de novembre.

"Parce qu’elles visent à brader des pans entiers du secteur non marchand, les négociations autour de l’accord de partenariat transatlantique (APT) et de l’accord de partenariat Trans pacifique (TPP), son modèle asiatique, se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité aux documents préparatoires et aux représentants de l’administration. Rien ne doit filtrer. Instruction a été donnée de laisser journalistes et citoyens à l’écart des discussions : ils seront informés en temps utile, à la signature du traité, lorsqu’il sera trop tard pour réagir.

Dans un élan de candeur, l’ancien ministre du commerce américain Ronald Kirk a fait valoir l’intérêt « pratique » de « préserver un certain degré de discrétion et de confidentialité (2) ». La dernière fois qu’une version de travail d’un accord en cours de formalisation a été mise sur la place publique, a-t-il souligné, les négociations ont échoué.(...)

A quoi la sénatrice Elizabeth Warren rétorque qu’un accord négocié sans aucun examen démocratique ne devrait jamais être signé (3).

L’impérieuse volonté de soustraire le chantier du traité américano-européen à l’attention du public se conçoit aisément. Mieux vaut prendre son temps pour annoncer au pays les effets qu’il produira à tous les échelons : du sommet de l’Etat fédéral jusqu’aux conseils municipaux en passant par les gouvernements et les assemblées locales.

Pas un domaine d’intérêt général n'échappera au libre-échange institutionnalisé: Sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration. (...)

Il est d’ores et déjà stipulé que les pays signataires assureront la « mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures » avec les dispositions du traité. Nul doute qu’ils veilleront scrupuleusement à honorer cet engagement. Dans le cas contraire, ils pourraient faire l’objet de poursuites devant l’un des tribunaux spécialement créés pour arbitrer les litiges entre les investisseurs et les Etats, et dotés du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers.

L’idée peut paraître invraisemblable ; elle s’inscrit pourtant dans la philosophie des traités commerciaux déjà en vigueur. L’année dernière, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ainsi condamné les Etats-Unis pour l’indication du pays d’origine sur des viandes importées, ou encore pour l’interdiction du tabac parfumé au bonbon, ces mesures protectrices étant considérées comme des entraves au libre-échange. Elle a aussi infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM). La nouveauté introduite par l’APT et le TTP, c’est qu’ils permettraient aux multinationales de poursuivre en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial.

Sous un tel régime, les entreprises seraient en mesure de contrecarrer les politiques de santé, de protection de l’environnement ou de régulation de la finance mises en place dans tel ou tel pays en lui réclamant des dommages et intérêts devant des tribunaux extrajudiciaires. Composées de trois avocats d’affaires, ces cours spéciales répondant aux lois de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations unies (ONU) seraient habilitées à condamner le contribuable à de lourdes réparations dès lors que sa législation rognerait sur les « futurs profits espérés » d’une société.

Ce système « investisseur contre Etat », qui semblait rayé de la carte après l’abandon de l’AMI en 1998, a été restauré en catimini au fil des années. En vertu de plusieurs accords commerciaux signés par Washington, 400 millions de dollars sont passés de la poche du contribuable à celle des multinationales pour cause d’interdiction de produits toxiques, d’encadrement de l’exploitation de l’eau, du sol ou du bois, etc. (4). Sous l’égide de ces mêmes traités, les procédures actuellement en cours — dans des affaires d’intérêt général comme les brevets médicaux, la lutte antipollution ou les lois sur le climat et les énergies fossiles — font grimper les demandes de dommages et intérêts à 14 milliards de dollars.

L’APT alourdirait encore la facture de cette extorsion légalisée, compte tenu de l’importance des intérêts en jeu dans le commerce transatlantique. Trois mille trois cents entreprises européennes sont présentes sur le sol américain par le biais de vingt-quatre mille filiales, dont chacune peut s’estimer fondée un jour ou l’autre à demander réparation pour un préjudice commercial. Un tel effet d’aubaine dépasserait de très loin les coûts occasionnés par les traités précédents. De leur côté, les pays membres de l’Union européenne se verraient exposés à un risque financier plus grand encore, sachant que quatorze mille quatre cents compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de cinquante mille huit cents filiales. Au total, ce sont soixante-quinze mille sociétés qui pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics."

Marie-Christine VERGIAT, Députée Européenne FRONT DE GAUCHE

Le Parlement européen dont la majorité est décidément très atlantiste : le 13 juin 2013, il a adopté une autre résolution allant encore plus loin intitulée « Le rôle de l’Union européenne dans la promotion d’un partenariat transatlantique élargi », dans laquelle on rêve d’intégrer au bel espace économique libéral l’Amérique latine et les pays de la rive africaine du bassin atlantique. Excusez du peu !

Le champ de la négociation est très large, quasiment sans limite, et le Commissaire de Gucht, directement en charge de la négociation, a le mérite d’être clair lorsqu’il dit : « Tout est négociable ». Sont donc sur la table les règles tarifaires, notamment douanières. Mais, compte tenu des accords déjà existants en ce domaine, ce n’est pas le coeur du problème, sauf pour les agriculteurs européens et notamment les agriculteurs français, déjà menacés par la réorientation de la politique agricole commune.

Mais aussi et surtout les règles dites non tarifaires, c’est-à-dire tout ce qui peut porter entrave à la liberté du commerce. Il y a là de quoi être inquiet, car on sait malheureusement ce que cela veut dire. Au coeur de la négociation, outre la question du règlement des différends déjà évoquée, ce sont toutes les normes sociales, notamment sanitaires, la protection des consommateurs et les normes environnementales qui, sous couvert d’harmonisation des normes techniques, risquent d’être mises à mal. Un grand rêve à portée de main pour toutes les grandes entreprises tant européennes qu’américaines !

On comprend que tout ce petit monde aux intérêts convergents ait mis le paquet pour que les négociations reprennent. Ils ont même disposé d’un outil officiel créé lui aussi en 1995 : le dialogue économique transatlantique. Ses principaux membres sont, côté américain : Microsoft, AT&T, Ford, Coca-Cola, Ernst & Young, et côté européen : Airbus, British American Tobacco, Lafarge, Siemens et Unilever. Cela se passe de commentaire.

Il est évident que de très grandes différences de protection, notamment des consommateurs existent entre l’Union européenne et les États-Unis. On peut donc craindre le pire. Si le marché transatlantique est mis en oeuvre, nos supermarchés vont être inondés de viandes aux hormones, de poulets chlorés, de maïs transgéniques, sans parler du risque de disparition des appellations d’origine contrôlée. Et ce alors même que les États-Unis maintiennent toujours leur veto à l’importation de viande de boeuf et de porc européenne sous embargo depuis la crise de la vache folle. Il y a un vrai risque de donnant-donnant au détriment des consommateurs européens. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en février dernier, la Commission a autorisé le lavage des carcasses de boeuf et de porc à l’acide lactique comme… aux États-Unis.

Un relais des États-Unis en France : la French American Foundation par Pierre Hillard*

L’opposition politique fondamentale réside aujourd’hui entre ceux qui soutiennent une gouvernance unipolaire du monde sous l’autorité des États-Unis et ceux qui prônent un équilibre des puissances régi par le droit international. À ce niveau, la grille de lecture traditionnelle française opposant une gauche à une droite n’a plus de pertinence – car on retrouve des deux côtés des partisans de la Pax Americana. Une organisation non-lucrative, mais richement dotée, la French American Foundation, a depuis trente ans pour fonction de recruter les jeunes leaders appelés à occuper des postes de dirigeants pour les former au soutien de la politique atlantiste. On y trouve des membres de l’UMP, du PS aussi bien que de l’équipe de campagne de José Bové.